Histoires de sexe sœur Histoires érotiques

Bacchanales – Chapitre 1

Bacchanales - Chapitre 1



Les légionnaires de la garde prétorienne, seule unité en armes admise dans l’enceinte de Rome, se figèrent au passage de la jeune femme. Aurélia peinait à se sentir à l’aise dans la domus Flavia, la partie publique de l’imposant palais consacrée aux affaires de l’empire lui paraissait froide, impersonnelle, liée au malheur. Le sang des empereurs assassinés servait de mortier aux dalles de marbre de l’Aula Regia, la salle d’audience embellie de riches trophées glanés dans les conquêtes.

Vous avez êtes dans le vrai, mon oncle, le temps est venu d’ouvrir la magistrature aux citoyens de nos lointaines provinces. Cela limitera les risques de révolte.

Claude délaissa le parchemin dévoilant les détails de l’avancée des travaux au port d’Ostie pour prendre les mains de la jeune femme dans les siennes.

J’apprécie de te savoir mon alliée en politique, ma chère enfant. Malheureusement, certains à Rome y verront une nouvelle spoliation de leurs privilèges, on peut s’attendre à des répercussions.

Le discours sur la citoyenneté au sénat s’apparentait à une victoire, l’empereur avait imposé la réforme aux plus réticents avec beaucoup de calme. Son entourage y voyait un soulagement car la moindre contrariété le poussait à bégayer et à trembler, le visage déformé par de vilaines contractions.

Votre décision était la bonne, soupira Aurélia fataliste, laissez donc les sénateurs s’égosiller. Nombre de ces parvenus souhaiteraient diriger Rome comme ils mènent leur maison, à coups de bâton.

Une jeune fille de ton âge ne devrait pas tenir de tels propos, sourit l’auguste césar attendri, surtout une princesse bornée qui a réussi à me convaincre une fois encore de ne pas la marier. Je suis d’une incomparable faiblesse avec toi, tant de bonté me perdra, si ce n’est déjà fait.

Les murs de la grande salle d’audience renvoyèrent en écho l’éclat de rire d’Aurélia, clair comme une source d’eau vive jaillie du cur des Alpes.

Mon oncle ! Vous prétendez que je suis trop jolie pour appartenir à un homme, et vous m’enjoignez à chacune de nos entrevues de prendre un époux parmi une horde de prétendants obséquieux dont le plus jeune pourrait être mon géniteur. Une telle union me rendrait malheureuse. Est-ce là ce que vous souhaitez ?

Claude contempla une ride d’expression sur le large front orné d’une mèche rebelle de cheveux noirs au raz des sourcils fournis. Il s’imprégna de l’insolence des immenses yeux sombres, des pommettes colorées, du nez mutin sur la petite bouche charnue aux lèvres ourlées afin d’en graver le souvenir dans sa mémoire.

Ton père était un frère pour moi, et je lui ai promis de t’élever comme ma propre fille. Aussi tu dois assumer tes responsabilités de princesse, la sauvegarde de l’empire exige des sacrifices.

Neuf ans plus tôt, un légionnaire de la garde tenait la main de la petite Aurélia devant la dépouille du général Titius Livarius Bragga, la poitrine transpercée par la lame d’un poignard destinée à Claude, alors consul honorifique auprès de Caligula. Le destin de la fillette venait de basculer.

Oh non, s’offusqua-t-elle d’un sourire contraint afin de chasser quelques miasmes d’une tristesse latente, vous lui avez donné votre parole de faire mon bonheur. Mais je vous obéirai, c’est promis.

Tu as mon entière confiance, concéda l’empereur satisfait. Aussi, je t’adopterai au regard de la loi à la prochaine séance plénière au sénat.

La princesse stupéfaite déglutit puis se composa un visage de circonstance. Elle avait appris au fil des ans à connaître cet homme secret dont la vive intelligence compensait l’ingratitude physique, à l’apprécier comme elle chérissait Rome et ses habitants. Mais une telle considération dissimulait à n’en pas douter un dessein moins avouable.

Ô cher oncle ! Votre intérêt me touche, balbutia-t-elle décontenancée, jamais je ne serai digne de cet honneur.

Bien sûr que si, coupa l’empereur d’un geste de la main, et tu devras te marier. Un de tes prétendants n’est-il pas un jeune tribun de bonne famille ? En attendant, l’instant est venu de recevoir tes invités.

La princesse acquiesça d’un simple mouvement de tête.

Le 11 septembre de l’an 48 selon le calendrier modifié par Jules César, le jour même de l’équinoxe prévu par les astronomes, Rome s’apprêtait à célébrer l’anniversaire de la princesse dans une débauche de cérémonies plus ou moins officielles. Le peuple allait danser, boire et manger, s’amuser au cours des jours à venir. L’empereur avait ordonné de marquer ainsi les dix-huit ans de sa nièce.

À quelques pas de l’amphithéâtre Flavien, une longue file bigarrée de praticiens et de plébéiens bruissait aux portes de la vaste Aula Regia, où Claude recevait d’habitude les délégations venues des quatre coins de l’Empire.

Aurélia remercia le garçonnet vêtu d’une tunique douteuse venu lui faire la bise. La personne célébrée se devait d’accepter tous les cadeaux à son anniversaire, même une simple marque d’affection. Un paysan avait marché des jours afin de lui offrir un veau, un marchand avait vogué des semaines pour lui apporter une étoffe, un dignitaire la couvrait d’une somptueuse robe brodée d’or, un prince barbare déposait à ses pieds des bijoux sertis de pierres flamboyantes.

Thracius Genucius s’avança d’une démarche solennelle jusqu’au pied du trône avant de s’effacer devant un esclave porteur d’un coussin brodé d’or sur lequel reposait un diadème paré de perles. Une rumeur s’éleva au sein de l’assemblée attentive.

Quelle allure, mon ami, le tança Aurélia en signe de défi, il ne te manque que la toge pourpre et on pourrait te croire triomphateur à Rome.

Cette parure appartenait à ma mère qui la tenait de la sienne, grimaça le patricien irrité d’entendre que l’attitude à son égard provoquait quelques rires. Elle sera le lien entre nos maisons désormais.

Crispée sur le trône, Aurélia saisit aussitôt la nature du piège. Le baiser du garçonnet avait au moins la saveur de la sincérité. Refuser un cadeau représentait une offense que la princesse ne pouvait se permettre ; en revanche, laisser Thracius ceindre son front d’un bijou dans sa famille depuis plusieurs générations revenait à accepter sa demande en mariage. Elle brisa l’élan du prétendant d’une voix claire.

Laisse-le sur son écrin, je t’en prie. Un tel joyau mérite la plus grande attention et l’instant n’est pas choisi. Je ne saurais accepter ta demande sans la permission de notre empereur. Il te faudra de la patience, personne ici ne doute de ton bon vouloir.

Livide, Thracius reposa le diadème sur le coussin d’une main tremblante, l’amertume de la défaite succéda à la saveur sucrée du triomphe.

Allons, mon cher ami, minauda-t-elle, faussement complaisante, viens me saluer. Ton geste m’honore, je t’assure.

Le jeune praticien n’eut d’autre choix devant la multitude de témoins vigilants que de saisir les mains tendues sous peine de provoquer un malentendu dont les conséquences s’avèreraient dramatiques, il s’inclina.

J’apprécierai d’assister aux jeux en ta compagnie, Thracius, insista la princesse de manière à être entendue. Acceptes-tu de m’accompagner ?

Ce sera pour moi un honneur.

Elle le laissa rejoindre son père au premier rang des tribuns groupés en arc de cercle avant d’accepter le cadeau suivant. Nul ne pourrait lui reprocher un quelconque mépris.

Le présent de l’empereur à sa nièce bien-aimée ! prévint le maître de cérémonie, forçant l’assemblée à un silence respectueux.

Un couple s’avança sans frayeur apparente au pied du trône. Le garçon aux traits fins n’avait pas vingt ans, la jolie jeune fille encore moins, une superbe jument noire piaffait d’impatience entre les deux.

Le maître de cérémonie fit tomber le long manteau des épaules des jeunes gens. Une rumeur extasiée s’éleva face aux silhouettes proportionnées à souhait brillantes d’une huile parfumée. Recevoir des esclaves nus signifiait le pouvoir d’en user à sa guise sans aucune restriction. L’empereur la considérait désormais en femme responsable.

Aurélia, livrée nue sur sa couche aux mains expertes de Lyvie, laissa son esprit errer hors de la chambre ouverte sur l’atrium. La pièce sobrement meublée à l’étage supérieur de la domus Augustana, la partie privée du palais, bénéficiait encore d’une généreuse exposition au chaud soleil de septembre.

Et toi, insista-t-elle avide de savoir, à quel âge as-tu été déflorée ?

La jeune servante sourde à la requête essuya un reste de cire d’abeille puis observa les aines imberbes de sa maîtresse.

Des femmes en Grèce s’épilent entièrement le mont de Vénus, quelle conception ridicule. Le poil est très joli, il suffit de l’entretenir.

Ne détourne pas la conversation, veux-tu, réprimanda Aurélia d’une voix trahie par la douceur de la serviette humide chaude sur son intimité en serrant dans la sienne la main de sa première servante.

La virginité gage de pureté amusait les Romains. La jalousie considérée comme une faiblesse, la sensualité était une arme par excellence au même titre que la diplomatie, dont il fallait apprendre à se servir tôt afin d’en maîtriser les différentes facettes. Aussi dans les maisons de certains dignitaires confiait-on à des esclaves le soin d’éveiller les jeunes gens aux plaisirs amoureux.

Ne me laisse pas dans l’ignorance, ma douce amie, implora la princesse jusque là préservée de l’odieuse tradition.

J’avais treize ans, déglutit l’intéressée d’une voix hachée par l’émotion, le jour où on est venu me chercher à la maison, un horrible souvenir. J’en ai voué mes parents à la colère des dieux.

Comme d’autres Romaines de naissance, Lyvie était devenue esclave en paiement d’une dette paternelle ; le nexum consistait à offrir un membre de sa famille en garantie. La disparition du père endetté avait entériné la transaction jusqu’à ce que la princesse la prenne sous sa protection.

Un véritable lien d’amitié les unissait désormais, aussi la jeune femme avait refusé plusieurs fois d’être affranchie. La liberté l’aurait condamnée au mariage avec un sous-citoyen capable de l’entretenir ou à la prostitution, la notion de citoyenne n’existait pas.

Ma pauvre ! s’offusqua la princesse sincèrement affectée. Cette première fois a été douloureuse, je présume.

Les autres aussi, admit Lyvie détachée comme si cette histoire n’était pas la sienne. Le plaisir d’une femme vient quand elle se donne, jamais quand on la prend de force.

Tout est prêt pour ce soir ? se reprit Aurélia confrontée au malaise de la servante. Je suis désolée de t’avoir mise dans l’embarras avec mes questions stupides.

Ne le sois pas, assura Lyvie, je dois mon bonheur présent à ta générosité. Nous retrouverons tes amies sur la rive du fleuve.

Parfait. Nous devons nous montrer prudentes avec ce genre de réunion, ne soyons pas des proies trop faciles.

La princesse caressa l’ovale doux du visage aux traits fins sous les longs cheveux châtains, les sourcils joliment dessinés, le petit nez parsemé de légères taches de son, les joues pleines et la bouche à la lèvre inférieure délicieusement ourlée, elle s’imprégna du profond regard de biche. Lyvie troublée tourna la tête.

Selon la coutume, un banquet mettait un terme à la journée de célébration auquel toute la famille était conviée sans espoir d’y échapper, mais que l’hôte fêté ne pouvait en aucun cas honorer de sa présence. L’empereur peu amateur de débordements festifs accueillit la vingtaine d’invités avec une chaleur exagérée, prêt à jouer un rôle dont il se serait volontiers passé.

L’opportunité était belle pour la princesse de négliger enfin les usages imposés par son rang. Elle rejoignit la rive du Tibre avant la tombée de la nuit, désireuse de veiller aux ultimes préparatifs de la fête. Les serviteurs déposèrent avec soin la litière de leur maîtresse sur le sable puis se joignirent aux gardes prétoriens afin d’interdire l’accès des lieux aux indésirables.

Aurélia se laissa charmer un instant par le chant du fleuve bordant la grande cité ; la nature avait sur elle cet effet apaisant relaté dans les uvres des poètes d’un autre temps narrées par des conteurs au verbe coloré. Le crissement du sable fin de la berge l’incita à se retourner, le soleil bas illumina un sourire complice.

Ma chère amie, s’extasia Valéria, tu ressembles à une de ces nymphes gardiennes de la nature dont les Grecs nourrissent leurs histoires.

L’apparition d’autres jeunes filles priva la princesse du plaisir d’une réplique. Les serviteurs déposèrent les litières avant de rejoindre les gardes par-delà le haut monticule de terre recouvert d’une herbe tendre clairsemée de fleurs sauvages tardives.

Zélie, Antonia, s’enthousiasma Aurélia en leur baisant la joue. Notre chère Oriane n’est pas avec vous ?

Me voici, s’écria un timbre aigu noyé dans un rire sonore. Qui manque à la fête ?

Aella, Sylvia et sa sur Constanta, prévint Valéria après avoir salué l’assemblée. Elles ne vont pas tarder.

Les jeunes femmes âgées de dix-huit à vingt ans se comptèrent bientôt huit, la moitié accompagnée d’une servante qui se mêla à ses condisciples à l’entretien du grand feu de bois ou à la préparation du festin de viandes rôties et de fruits frais dans une ambiance bucolique digne d’un rassemblement de vierges destinées à un ancestral rite initiatique.

La princesse aimait s’entourer d’amies aux pensées réformistes comme les siennes, privilège pardonné dans certaines limites à la jeunesse de la préture ; filles de sénateurs et de magistrats, elles avaient jusque là échappé au mariage forcé.

Notre adorable Valéria a ouvert mon esprit sur une heureuse conception, avança Aurélia insouciante, si nous faisions de cette assemblée celle des naïades protectrices du grand fleuve ?

La princesse pour l’exemple se libéra de sa longue tunique blanche. La lueur vive des flammes illumina sa silhouette dans l’instant particulier qui voyait le jour se fondre dans la nuit, projetant des ombres gigantesques sur la berge.

L’idée est séduisante, s’emporta Constanta enthousiaste. Montrons-nous telles que la nature nous a voulues, Vénus dans sa bonté protège Rome de la fraîcheur ce soir.

Toutes les jeunes femmes exposèrent leur nudité au soleil couchant.

Venez donc participer aux libations, commanda Valéria à l’intention des servantes rassemblées à l’écart. Et enlevez ces tuniques, vous êtes nos égales ce soir.

Ce n’est pas toujours simple, fit remarquer Aella, jolie blonde de dix-huit ans, mais certaines manquent de caractère. Il faut savoir dire non.

Mon père cherche à me marier depuis mes douze ans, renchérit Sylvia en lissant ses longs cheveux roux d’habitude retenus en chignon sur la nuque.

Les jeunes femmes autour du feu peinaient à ne pas évoquer sous l’emprise du vin le principal souci de leur existence. De la préture ou de la plèbe, une fille était destinée à être mariée, et le choix de l’époux lui incombait rarement.

Vous avez vu ce vieillard bouffi de prélat Tercius Erratus, grimaça Constanta, il exhibe sa nouvelle épouse comme un vulgaire trophée, la pauvre n’a pas treize ans.

La loi de Rome concernant la virginité ou l’inutilité de la satisfaction de la femme ne s’appliquait qu’aux gens du peuple ; les patriciens la contournaient sans vergogne. Des pères n’hésitaient pas à faire assassiner l’époux de leur fille afin de l’offrir à un homme nanti d’une meilleure position sociale.

Je parlerai à l’empereur dès demain, argua Aurélia décidée. Les sénateurs devraient voter une loi interdisant de marier une fille qui n’a pas encore saigné. C’est une question de morale mais surtout de salubrité publique.

Tu as raison, souligna Valéria en caressant nonchalamment le bras de son amie. Au fait, Thracius a-t-il fait sa demande ?

Par deux fois aujourd’hui, gronda la princesse allongée sur le dos le nez dans les étoiles, je le soupçonne d’avoir l’oreille de mon oncle.

Il est jeune au moins, rétorqua Sylvia rêveuse. Cela change de ces vieillards peu ragoutants qui assiègent l’empereur de leurs suppliques larmoyantes à ton égard.

Je suis moins enthousiaste. Selon la rumeur, il partage sa propre cousine Julia avec ce rustre de Fulvio Iberius.

C’est vrai qu’il est monté comme un taureau ? s’écria aussitôt la voix haut perchée d’excitation de Sylvia.

Oriane traça sur le sable un membre aux proportions impressionnantes.

Long comme ça et gros comme ça, pouffa-t-elle.

Les rires redoublèrent chargés des effluves de carenum, un vin liquoreux obtenu par la fermentation de raisins très murs avec des plantes aromatiques qui faisait tourner les têtes mais ne les abrutissait pas.

Thracius demande ta main ? ironisa Aella. Il a sollicité ce matin une autre partie de mon anatomie, d’habitude à l’abri sous ma stola.

Ah oui ! pouffa la princesse libérée de sa morosité. Je suis curieuse de connaître l’endroit de toi qui intéresse ce prétentieux.

Se tournant sur le ventre dans une attitude provocante, la jeune fille posa un doigt sur ses petites fesses rondes. Sa servante les caressa d’une main légère.

Oh oui, douce Pétrée, montre leur le traitement favori de ma croupe gourmande.

La domestique, loin d’éprouver un quelconque malaise, humecta ses lèvres avant de nicher son visage entre les fesses de sa maîtresse. Celle-ci se contorsionna de plaisir un court instant avant de reprendre sa position sur le côté.

Le brasier sur la rive du Tibre prenait des apparences de feu de joie sous les effets du carenum dont les jeunes femmes abusaient, elles refaisaient le monde à coups de tirades dérobées aux philosophes et de pensées vaporeuses mêlées à des concepts réformateurs qui plaçaient Clisthène le fondateur de la démocratie athénienne au rang des dictateurs.

Si Aurélien m’entendait, souligna Zélie le rouge aux joues, il préviendrait mon père, c’en serait fini des escapades au clair de lune. Il me ferait enfermer dans un temple.

À la place de ton géniteur, s’esclaffa Sylvia, je m’inquièterais surtout de tes jeux avec Aurélien.

Chacune fit une remarque légère ou entretint la bonne humeur par une évocation personnelle. Deux reconnaissaient avoir un amant attitré, une troisième convenait de succomber souvent au désir avec des hommes différents à chaque fois, les dernières conservaient un mauvais souvenir de la perte de leur virginité.

On s’amuse, susurra Valéria à l’intention d’Aurélia, mais ton existence est pire que la nôtre. Tu dois te sentir frustrée, ma tendre amie.

Non, mentit la princesse, un émoi dans la gorge, j’ai appris depuis longtemps à tirer profit de l’isolement. Et faire le bon choix au bon instant est tout ce qui importe.

Moi, conclut Aella jusque là silencieuse, je pratique le culte de Sappho avec tant de bonheur que m’offrir à un homme ne m’a jamais traversé l’esprit.

Elle baisa l’épaule de sa servante allongée près d’elle afin d’appuyer ses dires.

Tu devrais peut-être faire de nous tes disciples, s’exclama Aurélia déconcertante par son soudain sérieux, n’est-ce pas, Lyvie ?

Mes parents sont en Hispanie, rétorqua Aella sur le même ton, venez donc passer quelques jours dans notre maison à Ostie. Vous êtes toutes bienvenues.

Voici un séduisant dessein, gloussa Valéria, je me laisserais volontiers convaincre par une démonstration pour l’instant.

Allez, insista la princesse déconcertée par l’audace dont elle se pensait incapable, laissez-nous apprécier votre beauté.

Aella se leva sous les regards de l’assemblée sur ses cheveux blonds mi-longs dont les pointes caressaient les épaules droites. Les tétons saillants des petits seins tendus affirmaient leur arrogance féminine, des hanches à peine marquées dessinaient un ventre plat percé d’un petit nombril rond, un triangle clair de poils courts mettait en valeur une fente close semblable à celle des jeunes filles. Elle se montrait belle et impertinente, une adolescente au visage marqué par les réalités de l’existence.

Comme si la nature leur avait joué une drôlerie dont elle avait le secret, Pétrée sous une frimousse de gamine offrait des formes épanouies de femme. Elle laissa l’initiative à son amante de lui offrir un premier baiser profond.

Vous allez vous donner l’une à l’autre ? s’inquiéta Sylvia troublée de ressentir dans son ventre le picotement particulier d’un émoi involontaire.

Aella répondit par un simple sourire, les mains déjà à l’aventure sur les seins de sa compagne offerts à sa convoitise.

Allez ! encouragea Valéria dont la rougeur des joues se révéla à la danse joyeuse des flammes du brasier, montrez-nous.

Pétrée s’agenouilla près de sa maîtresse offerte en toute confiance. Deux ans plus tôt, jeune esclave au service d’une fille d’excellente famille de trois années sa cadette, elle lui avait révélé la nature des rêves qui remplissaient les nuits d’Aella, perturbée par les émois physiques auxquelles sa mère ne l’avait pas préparée. De conseillère à préceptrice attentive, la servante devint amante pour leur plus grand bonheur partagé.

Aella frissonna du contact de la main douce sur sa joue, là où le rituel amoureux de son amie commençait toujours, par une simple caresse. Puis les doigts fins s’égaraient sur le lobe d’une oreille, dans son cou, s’attardaient sur ce qu’aucun amant ne relevait sans doute par manque de patience et d’imagination, à l’intérieur d’un bras, sur l’arrondi subtil d’une hanche, sur une cuisse. Alors, sans même un effleurement sur les trônes de sa féminité, son corps en entier se consumait du bonheur à venir.

Pétrée mordilla le lobe de l’oreille sous les cheveux blonds en corolle puis lécha le corps offert à son attention, savourant le sel de la peau du cou fin à la poitrine fière. Elle enveloppa un sein de baisers suaves et en aspira le téton qui se raidit sous la langue agile, agaçant l’autre par de savantes caresses.

Hummm… gémit Aella.

Soucieuse de répondre à l’invite, la servante devenue maîtresse abandonna le second sein et glissa un doigt dans la grotte moelleuse. Le soupir de son amante la ravit. Pétrée savoura de la caresser ainsi, de découvrir la moiteur de l’intimité offerte. Les effluves charnels la troublèrent puis la saoulèrent ; l’odeur particulière, loin de la ramener à la raison, l’incita à pousser plus loin la découverte. Les doigts crispés dans les cheveux de sa bienfaitrice démontraient l’impatience d’Aella. Enfin, le nez dans la toison blonde semblable à un duvet, la prêtresse déposa un tendre baiser sur le calice.

Un « Oh ! » de surprise monta dans l’assemblée attentive à la science amoureuse. La loi romaine ne considérait rien des étreintes saphiques, ce plaisir ne constituait même pas un acte adultère pour les femmes mariées. Les hommes abhorraient la pratique car celles qui se contentaient entre elles avaient tendance à les délaisser.

Pétrée lécha les nymphes délicates, attentive aux réponses de son amie en écho à son audace. La douceur de mise, elle s’appliqua à ne rien brusquer. La vue du corps livré à ses soins la charmait, son parfum l’entêtait, sa saveur l’enivrait. Rien ne lui manquait, ni le plaisir d’Aella, ni le ravissement de se savoir à l’origine de ce plaisir. Le fruit ouvert livrait sa chair tendre à sa langue et à ses doigts, la vie que ce corps proclamait par des râles de plus en plus impérieux la comblait.

La jeune femme ne chercha à repousser ou à précipiter l’inéluctable. Elle abandonna le secret de son bonheur à son amante. Rien n’avait d’importance que la vertigineuse chute qu’elle souhaitait éternelle.

Pétrée ne la fit pas languir pour ne pas changer le bonheur en torture. Elle s’appliqua à de savants coups de langue sur et autour du bouton de chair et viola le temple inondé de ses doigts fins. Son amante en perdit la raison.

Aella se sentit défaillir, folle et heureuse à la fois. Le fiel du Vésuve déversé dans ses veines, les yeux hagards, elle gémit d’une longue plainte rauque à peine audible.

Aurélia, par volonté de mimétisme ou par instinct, avait serré les doigts de Lyvie dans sa main jusqu’à lui faire mal. Pétrée, la joue posée sur une cuisse encore moirée de l’acre nectar, remercia d’un sourire son amante du tendre abandon. Pétrée se redressa avec difficulté, le regard lumineux à la lueur des flammes, le front perlé de sueur, les petits seins soulevés par un souffle laborieux.

Les dieux eux-mêmes ne possèdent un tel pouvoir, s’extasia-t-elle.

Rentrée à la domus Augustana avant l’aube par souci de discrétion, Aurélia se plut dans l’euphorie entre conscience et insouciance au point de refuser le sommeil.

La soirée t’a plu ? demanda Lyvie attentive.

Voir Aella et Pétrée enlacées était surprenant de beauté, j’avoue avoir ressenti une furieuse envie de partager leur étreinte. Mais toi, mon amie, un amant se morfond sans doute de te savoir dans ma chambre, non dans la sienne. Dis-moi de toi ce que j’ignore en dépit de notre attachement.

La servante en appui sur un coude devina dans le sourire trompeur toute l’étendue de la peine, la profondeur de la solitude de la princesse.

Je te présente mes cinq amants, rit-elle en écartant les doigts de sa main droite sous le regard d’Aurélia.

Et voici les miens, soupira cette dernière en plaçant sa paume sur celle de Lyvie. Je me suis d’abord préservée par idéalisme, dans l’attente d’un sentiment sincère, puissant, par raison d’État ensuite, afin de n’offrir aucune prise aux ennemis de l’empereur, aussi par esprit rebelle, il me faut l’avouer. Pourtant, ces arguments s’avèrent contestables aujourd’hui, mon corps est une arme dans la quête ou dans le maintien du pouvoir, dont le maniement m’est inconnu. Vers qui me tourner ? Je n’ai confiance qu’en toi.

Alors demande-moi, déglutit Lyvie incapable de taire son impertinence, comme tu le demanderais à une amie.

Aurélia s’attacha à la douceur des doigts contre les siens le temps de se remémorer leur histoire commune de trois années.

L’empereur avait visité un usurier du nom de Spurius Pontius afin de le mettre en garde contre certains arrangements douteux avec l’impératrice Messaline. Claude avait l’habitude de délivrer en personne certains messages d’ordre privé, et son obstinée nièce adoptive parvenait à imposer sa présence quand le danger ne menaçait pas vraiment. Aurélia remarqua au cours de l’entrevue une esclave soumise à laquelle le personnage peu recommandable semblait tenir.

La jeune fille aux longs cheveux châtain traînait son malheur à l’abri des regards en amante forcée, privée de sortir, d’aller simplement au marché. La princesse émue par le gracieux visage imprégné de tristesse, révoltée contre l’odieuse pratique, la prit sous sa protection, sans même solliciter l’accord de Claude. Spurius Pontius s’estima heureux de conserver sa tête sur les épaules.

Je ne t’imposerai jamais cette corvée, tu le sais, même si partager cet instant avec toi serait un hommage béni des dieux.

Tu ne penses pas que j’en serais heureuse au contraire ? Mon affection sincère y trouverait une juste reconnaissance. Bien sûr, si elle n’est pas partagée…

Un rire surfait s’éleva, libéré pour la première fois de la soirée des fragrances de vin. Aurélia se blottit contre la jeune femme en gage de tendresse.

Jamais je ne me suis imaginée dans les bras d’une femme, s’émut-elle, excepté dans les tiens. Sans doute aurions-nous dû laisser libre cours à notre tempérament il y a longtemps, nous serions aujourd’hui des amantes comblées.

La princesse prit le temps de retourner les mots de Lyvie dans son esprit, de les peser, d’en comprendre le sens profond. Elle aurait pu en cet instant s’enfuir du palais, quitter Rome avec sa première servante, lui jurer sans mentir amour et fidélité. Mais ce qui les aurait unies ce soir risquait de les séparer demain ; une amitié sincère pouvait ne pas être ébranlée par quelques étreintes, elle ne pouvait en aucun cas s’en nourrir.

J’aurai trop peur de te perdre en acceptant, tendre Lyvie.

A propos de l'auteur

HistoiresDeSexe

Laissez un commentaire