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Plus dure sera la chute – Chapitre 5

Plus dure sera la chute - Chapitre 5



[ ce récit est inspiré de faits réels ]

[ flashback ]

Maintenant que vous allez mieux, nous allons pouvoir entreprendre une thérapie.

Celui qui sadresse à moi, derrière un bureau sorti tout droit dune boutique dantiquités, est un homme dune cinquantaine dannées, dune maigreur étonnante, aux cheveux grisonnants. Il porte de fines lunettes aux verres ronds, cerclés dacier. Son regard est aussi froid que la monture de ses lunettes.

Si vous pensez que ça peut me faire du bien, Monsieur…

Non. Pas « Monsieur » : « Docteur ! » Je suis le professeur Haguenauer, médecin-psychiatre. Vous mappellerez donc « Docteur », dorénavant, minterrompt-il sèchement.

Aïe La thérapie commence bien ! Il compulse ses notes.

Donc, votre pathologie se traduit par un comportement automutilateur. Selon nos renseignements, vous seriez un travesti notoire Apparemment, vous souffrez dune dépersonnalisation qui saccompagne de déréalisation. Il faut juste déterminer si ces symptômes sont dorigine névrotique ou psychotique

Je ne comprends rien à son jargon. Je tente de lui demander des explications.

Monsieur, permettez-moi

Docteur ! Je vais ai dit de mappeler par mon titre ! Vous êtes le malade, et je suis le médecin : donc, je sais comment vous guérir. Oui, guérir, parce que vous êtes malade ! Car refuser dassumer le sexe que Dieu vous a donné à votre naissance, cest une maladie ! Une maladie mentale ! Je vais vous réconcilier avec votre corps, moi !

[ flashback ]

Je lai revu souvent, ce médecin. Nos premières séances furent consacrées à de pénibles interrogatoires, puis les suivantes à de véritables leçons de morale rétrograde.

À côté de ça, il me bourrait danxiolytiques et dantidépresseurs qui me déconnectaient du réel. Javais limpression dêtre enfermée dans une camisole ; oh, non pas une de ces vieilles camisoles de force, mais dans une autre, bien plus sophistiquée et plus subtile, mais tout aussi pernicieuse : une camisole chimique.

Je suis en train de vous reconstruire ; vous faites dénormes progrès.

Comment osait-il appeler ce quil faisait odieusement subir à mon moi profond « me reconstruire » alors quil était en train de me démolir complètement ? Toujours est-il quaprès quelques semaines de traitement, il a dû considérer être arrivé à ses fins.

Monsieur Alejandro et jinsiste bien sur « Monsieur » cette thérapie est un succès de plus à mettre à mon actif. Vous êtes guéri ! Réconcilié avec votre corps. Félicitations. Vous êtes à présent ce que vous nauriez pas dû cesser dêtre : un homme ! Vous pouvez donc nous quitter pour rejoindre votre domicile et réintégrer la vie active. Je vous souhaite bonne chance.

Cest ainsi quil me congédia. Mais quallais-je devenir ?

[ flashback ]

Ne sachant pas quoi faire, je suis revenue (ou plutôt : je suis revenu, puisque cest ce que souhaitait le bon docteur) dans ma petite chambre de bonne, tout là-haut, au sixième étage. Cest là que, nerveuse, je tourne en rond depuis plusieurs jours sans pouvoir malimenter, ni même dormir ; à ma nervosité sajoute la chaleur étouffante de cet été caniculaire. Bien que la nuit soit déjà tombée depuis quelques heures, la fournaise ne sest pas atténuée. Latmosphère est moite et étouffante

Et moi qui comptais sur la France et ses Droits de lHomme pour être acceptée telle que je suis Si le terme « Homme » est générique, ces fameux Droits ne sappliquent quaux genres reconnus : homme et femme. Même ici, dans cette nation soi-disant tolérante, il ny a aucun droit pour ceux ou celles qui comme moi ne se reconnaissent pas dans ces catégories bien définies, séparées par des murailles infranchissables. Combien sommes-nous ? Des dizaines de milliers, certainement. Mais la loi ne nous reconnaît pas, et nous sommes considérés comme des malades par linstitution médicale. Quelle place y a-t-il pour nous ? Aucune !

Ces idées tournent sans fin dans ma tête, entrecoupées par des images de Jennifer. Ô, Jennifer, ma Jennifer Comme tu me manques !

Je suffoque Jétouffe Cette vie oppressante métouffe ! Besoin dair frais : vite, la fenêtre ! Je my précipite : lair y est aussi torride quà lintérieur. Je regarde la foule qui passe, indifférente, là, tout en bas. Les enseignes lumineuses multicolores essaient sans succès de repousser les frontières de la nuit, de ma nuit intérieure qui envahit mon esprit.

Arrêter ce cauchemar. Tout arrêter. Définitivement. Ma vie na été quun désastre. Je nai plus rien à perdre. Alors, pourquoi pas ? Je me penche un peu plus à lextérieur de la fenêtre

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Á travers mes paupières closes, le tourbillon des lueurs saccélère Kaléidoscope flamboyant ! Pourquoi essayer de leur attribuer une signification ? Je suis tellement loin de ces basses contingences matérielles… Mon esprit, qui vogue bien au-delà des misérables préoccupations humaines, a déjà accédé à un niveau où rien ne peut plus latteindre. Je suis intégré au Cosmos. Je ne fais quun avec lui. Mon corps ? Plus la moindre importance ! Je comprends que jusque là il na été que le support de cette impérissable étincelle de vie quest lesprit.

Le choc ne me surprend même pas.

[ fondu au noir, enchaîné sur une luminosité insoutenable pour un regard humain ]

FIN

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