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Julie et Mariam – Chapitre 9

Julie et Mariam - Chapitre 9



Paris.

Le réveil sonne. J’ouvre un il. Me lever est compliqué ce matin, chacun de mes muscles me rappelle le mauvais traitement que je leur inflige depuis deux jours et l’absence de sommeil n’arrange rien. Hier, dans l’espoir d’un miracle, j’ai passé ma journée sur mon canapé, les yeux rivés sur la porte d’entrée.

Je me traîne vers le bureau mécaniquement, routine de ces quatre dernières années. Je ne sais pas quoi faire d’autre. J’ai bâti mon quotidien sur ce boulot, par orgueil, pour prouver à mes parents que j’étais une femme libre et indépendante. Capable de réussir seule, malgré les réprobations de ma mère sur mon statut indigne de simple salariée.

Dès mon arrivée dans le hall, la douleur présente dans ma poitrine depuis notre séparation augmente. Pourquoi revenir ici alors que l’envie n’est plus là ? Par réflexe, je jette un il sur l’écran de mon téléphone pour la dixième fois de la matinée. Le journal m’indique un appel en absence et un message vocal reçu, numéro inconnu. À l’écoute de ma messagerie, mon sang se glace et je me fige à deux mètres de mon bureau.

« Salut, Jules. On est les filles de Mariam. Alors voilà : tu dois être un bel enfoiré. Je ne sais pas ce que tu as fait à notre mère, mais elle pleure depuis qu’elle est rentrée ! »

Une seconde voix furieuse rugit en arrière-plan.

« Et j’espère qu’elle n’est pas enceinte, salaud ! »

« Arrête, Cathy, ne dis pas ça. On ne peut pas savoir ce qu’il s’est passé. »

« M’en fous, je veux qu’il s’explique ce »

Le message n’en finit pas. Les filles se défoulent sur la personne qu’elles jugent responsable du chagrin de leur mère et dans cette flopée d’injures, je comprends subitement le pourquoi de « Jules ». Quand Mariam a enregistré mon numéro, par manque de temps, elle a juste tapé « Jul ».

Sortant de son bureau, Paul se dirige vers moi, l’air inquiet. Quelque chose l’interpelle dans mon attitude. Il me relève le menton de son index.

 Toi, tu n’as pas dormi ? interroge-t-il.

À bout de nerfs, je m’effondre contre son épaule et m’agrippe à sa veste.

 Viens, ne reste pas là. Il est temps que l’on ait une petite conversation tous les deux, dit-il d’une voix paternelle en me guidant vers son bureau.

Paul m’observe, silencieux, il attend le bon moment pour engager la conversation. Même si nous émaillons nos journées de jeux puérils pour évacuer notre stress, cet homme peut devenir des plus sérieux quand la situation le demande. Ces longues minutes à pleurer m’ont permis d’évacuer toute la tension accumulée, mais je ne sais pas par où commencer.

 Tu sais que tu peux tout me dire, Julie. On n’a jamais eu de secrets l’un pour l’autre.

 Oui, mais là c’est différent ! enchaîné-je en sanglotant.

 Pourquoi serait-ce différent avec Mariam ?

Je relève brusquement la tête en hoquetant, ma gorge se bloque. Comment est-il au courant ?

 Parce que tu crois que je n’ai rien remarqué ? Vous avez passé une semaine à vous manger des yeux, vous étiez toujours collées l’une à l’autre. Et l’épisode du souci « purement féminin » dans ton bureau de vraies gamines toutes les deux. Je n’avais jamais vu un truc pareil, c’était impressionnant !

Vu le nombre de caméras dans l’agence, j’imagine que tout le monde est au courant de mon secret de polichinelle alors ? J’ouvre la bouche, mais il ne me laisse pas le temps de m’exprimer.

 Explique-moi. Tu bloques parce que c’est une femme, c’est ça ? Je te croyais plus libérée que ça, Julie, vu certaines de nos escapades.

Les yeux baissés, j’ai l’impression d’être une ado qui prend une soufflante par son père.

 La sécurité m’a dit que tu étais venue samedi et que tu avais dormi dans ton bureau. Tu comptes rester combien de temps sans réagir ?

Le ton de Paul est brutal. Jamais il ne m’a parlé ainsi.

 Qu’est-ce que tu fous, bon sang ? reprend-il de plus belle. Tu as vingt-six ans. À ton âge on ne réfléchit pas, on fonce. Dis-moi, Mariam a exprimé ce qu’elle éprouvait pour toi ?

 Oui, murmuré-je entre mes dents.

Il a mis le doigt sur ma blessure, là où ça fait mal, et je sens que le retour de bâton va être violent.

 Et toi, tu as lui dit ce que tu ressentais ? Parce qu’il est clair que tu l’aimes, ça crève les yeux !

Ma tête dodeline en guise de non.

 Et tu ne l’as pas appelée non plus, je présume. Eh merde, tu te rends compte de la situation ?

Devant mon silence, Paul reprend.

 Tu te rends compte que Mariam pense qu’elle n’a été qu’un plan-cul pour toi.

Mon Dieu, il a raison. Perdue à m’apitoyer sur mon sort, cette idée ne m’a pas frôlé l’esprit un instant.

 Tu veux que je te dise, elle doit te maudire et se dire que tu es une belle

 Salope ! continué-je d’un ton dur.

 Tout à fait, et je préfère que cela sorte de ta bouche que de la mienne.

Il a raison, ce qu’endure Mariam est cruel et cette pensée rajoute un poids sur mes épaules.

 J’essaie de chercher quelque chose de rationnel dans ton comportement, mais je ne trouve pas. Donc, pendant des années, tu te bats contre tes parents pour refuser la voie qu’ils t’ont tracée et maintenant que tu as gagné, tu recules devant une chance d’être heureuse.

Silencieuse, je m’enfonce dans mon fauteuil sans aucun argument pour ma défense. Je suis juste lâche.

 Et dis-moi. Pourquoi ne l’as-tu pas appelée ? Tu as ton mobile greffé dans la main toute la journée.

 Je n’y arrive pas.

 Alors, il n’y a qu’une solution, bouge ton cul et rejoins-la ! Tu dois lui déclarer tes sentiments. Ne laisse pas passer ça !

 Elle habite Nantes !

 Pas de ça avec moi, s’il te plaît. Tu sais bien que la distance n’est qu’une excuse. Et après, tu trouveras quoi  ? Qu’elle est trop grande ? Trop maigre ?

Sa voix est montée d’un ton et a résonné dans la pièce.

 Tu n’as pas pris de congés depuis des mois et le reste de juin va être calme. Alors, rentre chez toi et remplis une valise. Je te pose la semaine. Cette région est très belle en cette saison.

Paul se lève et va pour sortir de la pièce, mais il se retourne brusquement sur le seuil, créant de nouveau ma surprise.

 Ne bouge pas, je reviens.

La phrase a claqué comme un ordre. De toute façon, c’est la panique dans ma tête. Depuis le début de cette conversation, mon cerveau tourne au ralenti et ne parvient pas à faire la part des choses. Pourquoi serait-il plus facile d’aller voir Mariam que de l’appeler ? Cette logique m’échappe, je suis tiraillée entre la peur de sa réaction et mon envie d’être à nouveau dans ses bras, deux sentiments puissants qui se battent au fond de moi. Faute de mieux, je me fie au jugement de Paul.

Deux minutes se sont à peine écoulées quand il réapparaît.

 C’est réglé. Je viens de signer tes congés, tu es en vacances. On passe chez toi prendre ta valise et direction la gare !

Mon cur se met à battre plus fort. Paul coupe tous mes angles de fuite et ce n’est pas la peine de discuter avec lui quand il est en colère.

* * * *

Sur le chemin de mon appartement, Paul ne m’a pas adressé la parole. Notre arrivée est silencieuse. Dès la porte d’entrée passée, chacun part de son côté. J’entre dans ma chambre d’un pas lourd ; mon chaperon se dirige vers la cuisine.

 Vu ta tête, un café ne sera pas de trop !

Je remplis machinalement ma valise posée sur le lit, puis je passe par la salle de bains en baissant la tête devant le miroir. J’ai toujours eu un rapport particulier avec ce dernier et je ne souhaite pas avoir son avis aujourd’hui. Soudain, une voix s’exclame du fond de la cuisine.

 Dis donc, c’est propre chez toi pour une fois. Tu as pris une femme de ménage ou Ah merde ! Laisse tomber, j’ai rien dit !

Paul vient de comprendre qui était à l’origine de l’état de ma cuisine. Il me rejoint en dodelinant de la tête, l’air navré, et me tend une tasse fumante.

 Allez bois, ça te fera du bien. Tu as un train dans une heure. Nous avons le temps d’aller à la gare et toi de prendre tranquillement ton billet. Je t’ai envoyé un texto avec tout ça, plus l’adresse de Mariam au cas où, par le plus grand des hasards, tu ne l’aurais pas notée. Maintenant, plus d’excuses bidon, s’il te plaît !

* * * *

Au dépose-minute de la gare Montparnasse, Paul me prend dans ses bras pour me communiquer son courage.

 Allez, ma grande. Je suis sûr que c’est la meilleure solution.

J’enfouis ma tête dans le creux de son épaule et, comme une naufragée avec une bouée, je m’accroche à mon ange gardien pendant de longues secondes, avec une très forte envie de ne pas le lâcher.

 Tu sais, j’ai du mal à te comprendre parfois. Tu es une femme jeune, libre, avec les moyens de mener la vie que tu veux, alors pourquoi ?

 Je mène la vie que j’ai choisie, Paul.

 Pff, tête de mule. Arrête de te mentir à toi-même, c’est épuisant ! Je compte sur toi pour me donner de tes nouvelles en arrivant. Allez, prends ton courage à deux mains, s’il te plaît. Fonce et sois heureuse, tu le mérites.

Paul m’embrasse tendrement sur le front. Mes mains tremblent et mon estomac joue au yoyo. C’est à moi de prendre mon destin en main maintenant, même si ce saut dans l’inconnu me terrifie.

* * * *

NANTES.

Je me suis toujours sentie perdue loin de Paris. Mon téléphone en main, en mode zombie, je suis bêtement la voix de mon GPS qui me guide dans les rues de Nantes. Le temps est splendide et le soleil me chauffe la peau, pourtant je tremble de tous mes membres.

« Vous êtes arrivé à destination. »

En bon petit soldat, je m’arrête au milieu du trottoir et lève les yeux. Rue du Château, numéro 2, mon stress monte d’un cran. Quatre heures plus tôt, tétanisée pendant de nombreuses minutes, j’ai failli flancher à trois mètres du guichet, en tout cas, assez pour attirer l’attention d’un agent de la SNCF qui m’a poliment proposé son aide. Paul m’aurait tuée si j’avais reculé si près du but. Une fois dans le train, malgré mon épuisement, une angoisse m’a tenue en éveil tout le long du trajet, m’empêchant de m’assoupir. J’ai cherché les bons mots pour notre rencontre. À part des : « Pardon Mariam, excuse-moi, je suis désolée » qui tournaient en boucle dans ma tête, je n’ai rien trouvé de probant pour implorer sa miséricorde. Ma boîte crânienne est restée désespérément vide ; impossible de me concentrer.

Je peste en m’approchant du porche. Comme une évidence, l’entrée possède un contrôle d’accès. À travers la porte vitrée, l’étiquette  Mariam Le Guennec et Filles, apposée sur une boîte aux lettres me saute aux yeux, pas d’erreur possible. J’ai beau retourner toutes les options dans ma tête, l’appeler est mon seul choix. Mais me répondra-t-elle ? Et puis est-elle à son domicile en ce moment ? Et si ses enfants décrochent ? La panique monte en moi et je me retiens pour ne pas me liquéfier sur le trottoir. D’une main tremblante, je me décide enfin. Un texto sera parfait. Oui, c’est d’une lâcheté affligeante, à cette seconde, je me déteste !

« Bonjour, Mariam. Je suis au pied de ton immeuble. »

J’ai écrit la première chose qui m’est passée par la tête. Les secondes défilent. Elle ne répondra pas, j’arrive trop tard. Mariam doit me haïr après trois jours de silence. Non, c’est mort, et puis c’était une mauvaise idée. Tu m’as embarquée dans quoi, Paul ? Mon cerveau n’assume rien, il me commande de pratiquer illico un rapide demi-tour et de rentrer à Paris ; ça l’arrange, le bougre est incapable d’analyser la situation et de m’apporter une réponse qui me sortirait d’affaire. D’un coup, mon téléphone vibre, un court message me saute aux yeux :

« Pourquoi ? »

Elle doit être là, à m’observer derrière l’une de ses fenêtres. La tête levée, je les scrute une à une et mon angoisse s’amplifie. Je dois répondre sans attendre.

« J’ai besoin de te parler. »

Une seconde vibration arrive instantanément.

« Besoin ? Pourquoi maintenant ? Pour me dire quoi ? »

Mes doigts tremblent et je corrige le texte à trois reprises avant de pouvoir envoyer les quatre mots responsables de toute cette peine.

« Je t’aime, Mariam. »

Ça y est, je lui ai dit ! Enfin, écrit, pour être plus précise. Un premier cap est franchi, cela aurait dû me soulager, mais c’est tout le contraire. Une minute passe, interminable, la confirmation que je suis arrivée trop tard. Quand tout à coup, je sursaute, mon téléphone vibre une troisième fois.

« Prouve-le-moi ! »

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