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La charge de la fougueuse ghanéenne – Chapitre 1

La charge de la fougueuse ghanéenne - Chapitre 1



Les monts du Fazao bordant la frontière du Togo baignaient dans une brume matinale. Le paysage magnifique de la forêt de la région de Palimé nous faisait oublier pour un moment, qu’il nous fallait rallier le Ghana, ses embûches et ses situations arbitraires.

Traverser le Ghana n’était pas de tout repos, nous l’avions déjà fait. Nous passions finalement la frontière caractérisée par sa bureaucratie kafkaïenne en route vers Kumasi et la Côte d’Ivoire que nous espérions rallier le soir même comme si nous allions entrer chez nous. Nous craignions les dangereux traquenards qui avaient accompagné notre descente vers la côte d’Or il y a quelques mois. Mais la route était bonne, ce qui n’était pas coutume.

Nous roulions à vitesse moyenne, en admirant le paysage et en essayant de nous familiariser à nouveau à la conduite à gauche. On se remémorait avec joie les faits significatifs de ce court voyage dans les pays du Sahel, partis d’Abidjan il y a un mois déjà.

Au loin, nous apercevions un attroupement sur le côté gauche de la route. Nous approchions lentement de ce qui nous semblait être des travailleurs routiers. Nous distinguions maintenant nettement quelques gendarmes armés entourant une mer de corps noirs à moitié nus, occupés à nettoyer l’emprise routière des herbes folles, du moins c’est ce qu’il nous sembla. La majorité des travailleurs étaient plutôt oisifs, sinon au repos. Ils manipulaient de longues et inquiétantes machettes.

A notre approche, nous sentions une sorte d’effervescence. Certains hommes s’étaient aventurés sur la chaussée et paraissaient vouloir nous interdire le passage. D’autres s’agitaient, brandissant leurs machettes ou attiraient l’attention des militaires sur notre présence. Nous avions été habitués à de telles situations lors de nos séjours précédents. A tous les villages, des barrages improvisés stoppaient les véhicules et vous laissaient le passage moyennant un léger bakchich. Ces méthodes de contrôle de déplacements des populations héritées de la sinistre Union Soviétique où avaient étudié les leaders gauchissants d’Afrique, avaient été, semble-t’il transformées par les populations créatives d’Afrique en d’utiles postes de taxation. Rien cependant, n’indiquait que ces points de contrôle étaient officiels.

L’attitude était devenue hostile au moment ou nous nous engagions à la hauteur de ce qui nous semblait être des bagnards occupés à des travaux communautaires. Je devais ralentir pour éviter de renverser l’un des hommes. Je les voyais maintenant s’agglutiner, menaçants autour du camping car. L’un des soldats pointait son fusil dans notre direction et nous intimait l’ordre de stopper.

Danielle ma compagne avait peur. Je faisais mine de ralentir près du gardien à l’air menaçant. Danielle prise de panique me suppliait de continuer à rouler. J’avais peur également et j’essayais malgré tout de réfléchir à la meilleure attitude à prendre face à une telle situation.

Je ralentissais au niveau du gardien à l’air toujours menaçant, je n’avais pas encore décidé de m’arrêter mais j’avais la certitude qu’il me fallait simuler un geste d’acquiescement à leurs désirs. La panique ne me paraissait pas la meilleure conseillère et il est connu qu’en Afrique, la palabre s’avérait généralement le meilleur outil pour se sortir d’une situation critique. Je savais surtout qu’un africain armé pouvait facilement perdre sa capacité au raisonnement logique.

J’immobilisais le véhicule malgré la panique de ma compagne et mes craintes camouflées. L’attroupement se faisait maintenant plus menaçant.

Je descendis lentement la vitre de l’auto, j’avais décidé de parlementer.

Ils étaient plus d’une douzaine et quelques gendarmes armés de fusils mitrailleurs. Ils s’étaient tous arrêtés de travailler et marchaient pour la plupart dans notre direction. Ils avaient un air patibulaire, le torse nu, le boubou enroulé aux hanches, certains faisaient virevolter leurs machettes au-dessus de leurs têtes. J’étais maintenant résigné et je demandais tant bien que mal la raison de mon arraisonnement.

L’un des bagnards me lança menaçant:

Hé viens ici. D’instinct j’avais compris que j’avais le choix des armes et qu’il me fallait me rendre à leurs désirs malgré toute l’absurdité du geste, j’ouvris ma portière, ma compagne me suppliait de rester. Il était trop tard pour changer d’idée, je me dirigeais vers l’un des groupes et demandais une machette.

Mon geste avait produit un certain effet sur le groupe. Les visages se transformèrent. Il y eut des éclats de rire satisfaits. J’avais semble-t-il gagné la partie. Je n’étais plus cet obscur visiteur venu d’ailleurs, un autre de ces blancs distants ou de ces arrogants fonctionnaires africains qui passent en trombe barricadés derrière les vitres enfumées de leurs Mercedes noires, je m’étais arrêté et j’offrais ma modeste contribution à l’édification de cette merveilleuse et admirable république socialiste du Ghana dirigée par son président magnanime. L’un des bagnards s’approcha et souriant manipula sa machette sous mon nez. Je sentais dans ce geste plus de dérision que de menace, il lança la machette au loin et je compris à ses signes qu’il me disait d’aller la chercher. Les éclats de rire accompagnèrent son geste. J’eus l’impression d’avoir créé une pause, une récréation, les gardiens étaient plus relaxes et n’intervenaient que pour éviter les débordements d’enthousiasme à mon égard. Ils repoussaient avec vigueur les hommes trop entreprenants.

Je fis quelques pas en direction de la machette qui s’était immobilisée sur l’emprise de la route le long d’un remblai en pente raide. Je me penchais pour la prendre. Au moment ou j’allais la cueillir, je sentis comme un soufflet le long de mon visage, la lame d’une machette venait de se planter au sol au bout de mes doigts. Une sensation étrange m’envahit je craignais y avoir laissé quelques doigts, seule une portion de l’ongle de mon index s’était détachée, je restai figé sur place, il n’y avait même pas de sang.

Au bout de mon regard et à peu de distance, il y avait deux jambes fines, d’un noir cuivré, largement écartelées et fermement plantées au sol, je pouvais voir les bracelets de perles multicolores qui ornaient les mollets, des pieds minuscules dont on apercevait le contour blanc de la plante des pieds qui tranchait avec le noir de la peau. Je compris qu’au bout de ces troncs minuscules il y avait un acteur anachronique.

Je levais les yeux et je découvris avec une lenteur toute calculée, tous les détails charnels qui s’accrochaient à ces jambes rigides, le corps grossièrement sculpté d’une jeune fille.

Elle était nue à l’exception du pagne enroulé lâchement autour de sa taille et qui laissait voir les scarifications proéminentes qui décoraient le voisinage de son plexus solaire . Ses seins me sautaient au visage, comme des pics arrogants, ils s’écartaient de part et d’autre du thorax en de majestueux monticules outrageusement pointus, ils ne portaient pas encore les traces des érosions irréversibles du temps. C’était encore une fillette.

J’apercevais son visage, rayé de dessins linéaires au kaolin comme un masque dissimulé entre ses seins écartelés, sa bouche, démesurément élargie par un sourire moqueur qui laissait voir des crocs d’une étonnante blancheur. Puis les globes de ses yeux, immensément blancs qui semblaient sortir de leur orbite, tout cela sur fond de scène d’un noir étonnant, rendaient les autres détails de son corps presque imperceptibles. Elle n’avait pas de cheveux, ou si, des petits monticules frisottés, noirs et graisseux qui semblaient faire partie intégrante de son crâne agrémentés de cauris et de perles multicolores.

Elle ne fit aucun geste pour ramasser la machette. Ses bras s’écartaient au-delà de ses hanches. Arquant ses jambes dans une pose de provocation, elle riait et attendait, une riposte sans doute. J’entendais au loin les rires approbateurs de ses compagnons de peine. Elle était prête au combat comme une tigresse sure d’elle. Elle était la seule femelle du groupe.

Puis sans avertissement, comme si elle m’avait juste donné le temps qu’il fallait pour la jauger, elle se jeta sur moi accompagnant son élan d’un inquiétant rugissement semblable à celui d’un animal sauvage. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, ses seins s’enfoncèrent dans ma chair à travers l’échancrure de ma chemise. Le choc fut soudain. Je basculais à la renverse en direction du contrebas de la route. Elle s’était accrochée à moi comme un lutteur, ses bras et ses jambes s’étaient enroulées autour de mon corps et nous formions désormais qu’une seule entité. Nous roulions dans le ravin ainsi imbriqués l’un dans l’autre. Les détails du sol s’incrustaient dans mon dos je le sentais. J’avais enroulé mes bras autour de son corps comme pour mieux absorber les anfractuosités du sol, mes doigts s’incrustaient dans sa chair qui avait la consistance du cuir.

Je sentais son haleine sur mon visage, les spasmes de sa poitrine qui martelaient déjà mon thorax, ses chairs rigides, odorantes, qui râtelaient mes chairs, je sentis son corps en délire, en transes primitives, alimenté par le désir, la concupiscence, une énergie sexuelle débridée.

Elle se plaquait sur moi comme une bête fauve. Elle se tortillait et je sentais la pointe de ses seins s’enfoncer plus profondément dans ma chair sensible, ses scarifications abdominales labourer le bas de mon ventre et agacer mes organes sexuels au passage, les amulettes hétéroclites qui pendaient à son cou s’incrustaient dans ma peau, je sentis s’éveiller en moi, une incontrôlable métamorphose érotique.

Et nous roulions ainsi, sans contrainte, balayant les futaies au passage, déplaçant les pierres, les déchets épars, ralentissant, accélérant au gré des profils de la pente, perdant momentanément la lumière du soleil, la retrouvant scintillante, puis la perdant à nouveau, inlassablement lancés dans une chute endiablée qui n’avait plus de fin et qui nous soudait l’un à l’autre dans une étreinte animale, rituelle, presque fatale.

Elle s’attaquait de sa langue, de ses dents à mes organes faciaux, ma langue, mes narines, elle les mordait, je me sentais dévoré par une bête gourmande, affamée, j’en ressentis d’ailleurs un certain plaisir masochiste. Puis je sentis qu’elle manipulait mon phallus de ses doigts nerveux, l’activant d’un mouvement saccadé, accéléré, sans vergogne, accompagnant les roulis de notre chute. Ses gestes étaient impatients mais empreints d’une sorte de magie sexuelle, elle forçait délibérément le réveil de mes sens qui ne tardèrent pas à répondre à ses attentes.

Puis je sentis mon lingam bandé comme une arbalète s’enfoncer dans le liquide fangeux qui débordait déjà de son vagin largement entrouvert, traverser d’étroits couloirs obstrués de stalactites rigides, s’embourber, se dégager, bondir au gré des soubresauts de nos corps en chute libre, labourer les tatouages affûtés de son ventre, replonger, se baigner, s’écraser sous la subite fermeture de son utérus, se blesser, se tordre, puis se dégonfler, cracher violemment son venin, la faisant se tortiller de plaisir ou de souffrance, gémir de souffrance ou d’extase, sentir ses doigts s’enfoncer plus profondément dans ma chair, y traçant des sillons profonds, scarifier mon visage de ses dents, me tordre, me contorsionner, me blesser, sous l’action impétueuse de ses bras, de ses jambes, et exploser, gémir intensément, se tortiller, sentir l’extase, la démence orgiaque, la copulation initiatique, la fin ultime, le sommeil éternel.

Nos corps s’immobilisèrent à ce moment précis

Pendant que mon ventre se vidait de son venin, je la sentais immobile sous mon corps subitement détendu. Elle ne bougeait plus. Son visage reflétait la sérénité, la satisfaction, le plaisir accompli.

J’avais une étrange sensation. Mon sexe reposait toujours dans son ventre, immobile, pénitent. J’avais cette étrange sensation, un mélange de satisfaction et d’euphorie inconfortable qui accompagne le réveil d’une relation charnelle avec un être d’une autre culture, d’une autre race, cette étrange sensation d’avoir transgressé des lois immuables, des tabous, d’avoir franchi la frontière entre les cultures, participé à un rite initiatique, d’avoir violé sa tribu, d’avoir trahi ma tribu, transgressé les frontières morales de nos tribus respectives, trahi les mères, les épouses, les époux, les femmes de ma tribu, les hommes de sa tribu, c’était cela je crois le spleen indéfinissable, la mystérieuse euphorie qui meublait mon esprit, l’espace d’un instant, mon lingham toujours enfoui dans les couloirs secrets de son ventre de jeune fille primitive.

Son visage était là , incrusté à la pierre. Elle ne bougeait plus. Sa bouche s’ouvrait large sur ses dents blanches comme l’ivoire. Elle ne bougeait plus. Ses yeux me fixaient de ses gros globes étincelants, extasiés. Elle ne bougerait plus, son crâne s’était aplati sur la pierre. Déjà, des liquides cervicaux s’échappaient des frisettes qui ornaient son crâne.

Elle avait percuté la pierre, elle s’était éteinte au moment de l’extase et semblait encore jouir de ce dernier moment. J’essayai de m’extirper de son emprise. Elle était agrippée à moi comme pour me retenir dans son rêve.

Elle me regardait…. droit dans les yeux et elle profitait des derniers moments de mon éjaculation, mon sexe obstruait toujours son orifice vaginal. Elle semblait jouir encore. Mais tout s’était arrêté, les contorsions acrobatiques, les borborygmes gutturaux, les spasmes de son corps, elle était immobile. Je dénouais avec peine le haut de mon corps des entraves de ses bras. Je me relevais, j’avais le corps endolori par la chute, ses jambes étaient toujours enroulées à mes jambes, rigides. Son vagin commençait à se resserrer sur mon sexe toujours enfoui dans son ventre.

Je le retirais avec une telle peine que j’entendis s’échapper par l’ouverture, un murmure étonnant, une plainte quasi intelligible, le seul son de ces moments de ……. transes sexuelles.

Sur le haut du talus, je voyais de manière diffuse, l’alignement des hommes ahuris devant le spectacle , ils ne bougeaient pas. Je n’avais ni le temps ni la volonté d’analyser la situation, je remontais le talus, faisant fi des hommes menaçants qui m’attendaient en haut du talus.

L’ascension me parut longue. Je voyais grossir les visages dont les contours s’effritaient presque sous l’effet de contre-jour, ils se mariaient au paysage. Je piétinais les obstacles avec détermination, les pierres, les ronces, les détritus qui nous avaient accompagnés tout le long de notre lente descente et avaient laissés de multiples meurtrissures sur mon corps, une blessure mortelle sur son corps, son corps de petite fille primitive.

J’arrivais enfin en haut du talus, je touchais presque les pieds des bagnards et des soldats qui formaient la ligne de démarcation entre le talus et la route. J’appréhendais la réception mais une certaine force me poussait à continuer, je traversais la ligne avec détermination, sans hésitation et me dirigeais vers mon camping car.

J’étais maintenant prêt à tout, et sans hésitation, j’entrais dans l’auto, mis le moteur en marche et démarrais le véhicule. Les hommes restaient là ébahis, comme impuissants à toute action, ils me regardaient sans un geste, figés dans une sorte de sommeil extatique.

Nous roulions à tombeau ouvert, ressentant toutes les anfractuosités de la route. Nous traversions villes et villages, sans un mot, violant les barricades ou payant les pourboires sans palabrer dans l’espoir de sortir du pays comme de l’enfer. Nous avions atteint la Côte d’Ivoire dans la nuit avancée juste avant la fermeture définitive de la frontière.

Et depuis, je revois souvent ce visage d’impétueuse ghanéenne, figé dans l’extase par l’ultime geste de l’amour et ce persistant remord de n’être pas mort dans ses bras. Je revois aussi ces hommes, ces hommes impuissants, pétrifiés par le sacrilège fatal de l’impétueuse ghanéenne et leur lâcheté à me laisser vivre.

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