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Photos de famille – Chapitre 5

Photos de famille - Chapitre 5



Anton avait proposé à Ophélie de venir le samedi soir à la maison ; ce serait une surprise pour Sabrina qui découvrirait ainsi l’opportunité qui s’offrait à elle. Il prévoyait également d’annoncer officiellement sa relation avec Kanyaphat, ce qui il l’espérait calmerait les ardeurs de sa sur. Rachel accueillit l’idée avec plaisir : il y avait bien longtemps qu’elle n’avait reçu de la visite dans cette grande maison, et des années étaient passées depuis la dernière venue d’Ophélie : ce devait être pour les vingt ans d’Anton. Un peu d’animation ferait le plus grand bien.

  

 Deux jours auparavant il avait appelé sa dulcinée sur Skype pour lui faire part de son projet. Malgré la mauvaise qualité de l’image, il la vit rougir. Ils avaient abordé le sujet avant leur séparation temporaire, et même s’ils s’étaient mis d’accord sur la marche à suivre, elle ne put s’empêcher de trouver cela trop rapide. Juste par principe, pour qu’Anton ne se sente pas bousculé, qu’il prenne le pleine mesure de la situation qu’il vivrait, surtout si quelqu’un venait à apprendre la vérité la concernant. 

  

 Quelques années avant, il avait été question qu’elle épouse un homme croisé sur un site de rencontres dédié aux transsexuelles, pour ne plus avoir à craindre la réaction d’un homme découvrant à brûle-pourpoint sa particularité. Ainsi, tout aurait été clair depuis le début. Hélas, les amateurs de « shemales » souhaitant uniquement assouvir leurs fantasmes pullulaient. Elle était jeune, et surtout naïve ; lui avait presque une trentaine d’années de plus. Il s’était montré généreux sans que cela ne tourne à l’option d’achat. Il était tout autant prévenant et tendre, même si, sexuellement, ses envies provenaient ouvertement de films à caractère pornographique. Deux ans durant, il vint passer ses vacances en Thaïlande. Elle vécut d’agréables moments en sa compagnie et ils évoquèrent la possibilité de partager plus de temps ensemble. Ils entamèrent les démarches en vue d’un mariage mais, un mois avant son retour qui devait régler les ultimes formalités, il ne donna plus signe de vie et disparut de la circulation sans même une explication. Les amis de Kanyaphat se lamentèrent sur son sort tandis qu’elle, avec philosophie, considéra que c’était là le signe que le destin lui réservait quelqu’un de meilleur. Malgré cette sagesse, les mois suivants lui furent épouvantables.

  

 Elle s’était alors lancée dans cette activité de guide, ce qui lui fut salutaire. Elle rencontra une multitude de gens, tous d’horizons différents : des pseudo-baroudeurs aux couples de retraités suffisamment fortunés pour s’offrir un guide à temps complet, en passant par les petits groupes d’étudiantes craignant de partir un peu trop à l’aventure. Quel que fût le milieu d’où venaient ses clients, il y avait parmi eux des gens affables avec lesquels discuter était un réel plaisir. Et puis il y avait ceux qui lui donnaient l’envie de courir s’enfermer dans sa chambre. 

  

 Ce fut au cours du premier voyage d’Anton en Thaïlande que Kanyaphat remarqua ce grand jeune homme encore un peu timide, lors d’une soirée organisée par l’hôtel en l’honneur de l’anniversaire d’un de ses clients un quadragénaire en couple, dont l’argent, facilement gagné et coulant à flots, était à la hauteur du caractère mais de qualité inverse. Il avait invité pour ces vacances-là deux autres couples qui lui servaient au mieux de cour, mais plus certainement de faire-valoir. En tant que compatriote, Anton s’était retrouvé happé par le groupe qui grossissait au fur et à mesure que la soirée avançait, comme une boule de neige se chargeant de verres d’alcools et de paroles proférées à voix de plus en plus forte. Anton, mal à l’aise avec cette troupe fort bruyante, écoutait les anecdotes des touristes qui s’agrégeaient, tendait une oreille de plus en plus distraite, espérant encore, après avoir fait le tri de ce qu’il entendait, une information s’avérant utile. 

  

 Elle s’était approchée de lui lentement, ne voulant pas montrer ostensiblement qu’elle s’intéressait à lui, dont l’écurement augmentait tandis que, la soirée passant, les remarques sur la facilité des jeunes femmes thaïs à écarter les cuisses s’agrémentaient de rires de plus en plus gras. Si Anton n’avait point été présent, elle les aurait abandonnés à leur sort lorsque, fier de sa verve, la vedette de la soirée se lâcha et compara les « ladyboys » à des éponges à foutre, comme si elle n’avait pas été là. Hélas pour elle, Anton n’avait pas semblé la remarquer, jusqu’à ce qu’elle le recroise fortuitement dans un autre hôtel quelques jours plus tard. Comme il la reconnut instantanément, elle mit sur le compte du décalage horaire et de la fatigue du voyage le fait qu’il était resté distant. Il se montra plus jovial et plus à son écoute peut-être y avait-il moins de monde pour accaparer son attention  et elle découvrit un jeune homme ouvert, sûr de ce qu’il voulait et enthousiaste. 

  

    ─ Si tu cherches un guide, je n’ai rien de prévu pour les semaines à venir ; ce n’est pas la meilleure saison

    ─ C’est gentil, mais je dois avouer que je n’ai pas prévu le budget pour cela, répondit-il un peu gêné. 

    ─ Tu n’es pas obligé de m’embaucher pour tout ton séjour ; seulement quelques jours pour certaines régions mais bon, je ne veux pas m’imposer ; si ce n’est pas possible, tant pis ! Je te laisse ma carte au cas où, pour une prochaine fois.

  

 Elle lui demanda s’il acceptait de lui montrer quelques vues ; il le fit volontiers et elle se glissa à son côté, en profita pour se coller à lui. Elle admira les portraits qu’Anton avait tirés. Une idée lui traversa l’esprit ; elle n’en revenait pas de sa témérité. 

  

    ─ Tu pourrais faire quelques clichés que j’utiliserai sur mon site internet, par exemple. En échange, je te sers de guide.

    ─ Mais ce n’est pas équitable ! Tu sacrifierais plusieurs jours de travail alors que de mon côté quelques heures suffiraient pour faire les photos.

    ─ Oh, je pourrais trouver sans peine une flopée d’amateurs d’images prêts à se servir de leur appareil pour toutes sortes de tirages, mais mon corps n’est pas une monnaie d’échange. Et si je dois payer de ma personne, je préfère choisir et mon créancier, et la manière de rembourser mes dettes.

  

 Anton ne répondit pas. Qu’aurait-il bien pu ajouter à cela ? Il admira son visage d’une finesse exquise ; plus il la fixait, moins il envisageait de se passer de guide. Il considéra même que cela serait la pire des stupidités qu’il pouvait faire.

  

 Les bougies déposées sur les tables baignaient le bar de l’hôtel d’une lumière chaude favorable à de beaux portraits. Ce ne seraient certainement pas ceux que Kanyaphat utiliserait pour son site, mais rien ne lui interdisait d’en réaliser à titre privé. Elle se prêta d’ailleurs bien au jeu lorsqu’Anton appuya sur le déclencheur. Ils avaient alterné les photos et les boissons, si bien que rapidement la jeune femme eut la tête qui tournait. Elle avait alors suggéré de quitter le bar :

  

    ─ Je te propose soit de déambuler dans la ville, soit d’aller à la plage. Que choisis-tu ?

    ─ C’est toi la guide, je te suis.

    ─ J’avoue avoir un peu trop bu. Allons d’abord profiter de la brise marine qui me dégrisera.

  

 Les lumières du front de mer éclairaient légèrement la plage, assez pour se voir mais pas suffisamment pour qu’il puisse se rendre compte qu’elle rougit lorsqu’elle lui avait avoué se sentir affreusement bien en sa compagnie. Il avait ri de cet oxymore.

  

    ─ Affreusement, oui Avant de continuer, je dois t’avouer une chose ; et selon ta réaction, je pourrai alors me sentir divinement bien. Ou affreusement mal. 

  

 Anton se demanda ce que pouvait bien cacher ce secret qu’il lui fallait révéler. Avait-elle une ribambelle d’enfants qui surgiraient de derrière les rochers en hurlant dès qu’elle aurait terminé sa phrase ? Ou, telle Mélusine en version asiatique, se transformait-elle tous les samedis en créature mi-femme, mi-serpent ?

  

 Il fut plus qu’étonné lorsqu’elle lui avoua que ce qu’elle avait entre les jambes n’était pas conforme à ce qu’on voyait d’elle. Si étonné qu’il n’eut pas à vraiment parler de réaction. Kanyaphat en fut à son tour perturbée, habituée aux deux réactions les plus classiques : les amateurs du genre, qui le plus souvent n’espéraient que ça ; ou ceux qui, inversement, s’ils ne prenaient pas leurs jambes à leur cou, exprimaient ouvertement leur dégoût. Elle avait maintes fois dû fuir pour éviter les réactions violentes et n’avait pas toujours eu le temps de les esquiver.

  

 Anton comprit que l’intérêt de Kanyaphat à son égard allait bien au-delà de sa proposition d’échange de bons procédés. Il décida cependant de s’en tenir pour l’instant au programme, histoire de se faire à l’idée. Quand un point l’intriguait, il lui posait tout simplement la question et elle lui répondait tout aussi simplement. Ils continuèrent leur balade nocturne. Anton accepta qu’elle s’accroche à son bras après avoir remarqué les approches de certains touristes à l’égard de la jeune guide, qui le plus souvent tenaient de l’abordage d’un navire par des flibustiers.

  

 Ils finirent par retourner à l’hôtel. Elle l’invita à venir boire une dernière bière dans sa chambre. Elle n’entendait pas précipiter la décision d’Anton, mais seulement lui permettre d’entrevoir que sa féminité n’était pas que de façade et qu’elle se révélait dans les moindres détails quotidiens. 

  

 Quand il se leva pour prendre congé de son hôte, il se rendit compte qu’il avait ingurgité un peu trop d’alcool car il faillit s’étaler de tout son long. Il franchit la porte et allait souhaiter une bonne nuit à Kanyaphat quand il se demanda où était sa chambre.

  

    ─ Attends, je t’accompagne. Je ne voudrais pas que tu te perdes en chemin.

    ─ Jamais je n’aurais imaginé un jour avoir besoin d’une guide pour retrouver ma chambre ! plaisanta-t-il.

  

 Ils arrivèrent devant la bonne porte. Ils s’embrassèrent sur la joue et se souhaitèrent une bonne nuit. Avant de refermer l’huis, Anton regarda la guide s’en aller et se rendit compte que ses yeux s’étaient naturellement portés sur son postérieur. Il faillit la rappeler, mais elle avait déjà tourné dans le couloir. Il était un peu saoul et pensa qu’attendre la prochaine occasion serait préférable.

  

 Ils se retrouvèrent le lendemain devant le buffet pour le petit déjeuner. Elle lui proposa de manger en prévision d’une longue journée s’il voulait bien l’accompagner. Il nota qu’elle n’avait pas utilisé de terme « suivre » et qu’elle ne jouait plus vraiment au guide. Elle voulait l’emmener dans une crique isolée et paradisiaque que les touristes laissaient de côté car nécessitant presque deux heures de marche.

  

 Ils arrivèrent sur cette plage, grande comme un timbre mais belle comme une image de carte postale. Encastrée entre deux pans de collines, un sentier escarpé mais sans difficulté y donnait accès. Un ruisseau qui n’avait pas eu le temps de devenir une rivière dévalait la pente opposée et délimitait le sable de la base de la colline. Leurs pieds étaient les seuls, depuis des jours et peut-être des semaines, à laisser des traces sur cette étendue de sable blanc. Ils étendirent leur serviette et coururent vers l’eau limpide. Elle le devançait, et il ne put s’empêcher de constater qu’elle avait cette façon typiquement féminine de courir. Il remarqua par la même occasion que son regard se portait une fois encore sur le bas de son dos, et cette fois ce n’était pas l’alcool qui lui jouait des tours. 

  

 Elle portait un maillot de bain blanc que les éclaboussures commençaient à rendre légèrement transparent. Dans son short, il sentit une déformation nullement professionnelle s’opérer. À propos d’opération, il se demanda où Kanyaphat pouvait camoufler ce qui la différenciait encore des autres femmes, tant sa silhouette ne trahissait aucunement la présence incongrue d’un organe dont il n’aurait jamais deviné l’existence si elle ne lui en avait touché un mot.

  

 Ils nagèrent tranquillement une dizaine de minutes ; ils n’étaient pas là pour préparer une compétition olympique. La température de l’eau étant idéale, ils n’avaient pas envie d’en sortir. Ils restèrent ainsi à discuter, face à face. Anton n’osait pas poser les questions qui lui brûlaient les lèvres, ne sachant pas comment aborder le sujet et satisfaire sa curiosité. Kanyaphat le laissa se débattre encore un peu, amusée par sa retenue, puis décida de l’aider à se lancer :

  

    ─ Tu sais faire la planche ? Je n’ai jamais réussi, j’ai toujours peur de couler comme une pierre.

    ─ Tiens, regarde. C’est simple

  

 Il expliqua avec moult détails comment il s’y prenait, illustrant par l’exemple ses propos. 

  

    ─ Emmagasine tout l’air que tu peux dans tes poumons et étale-toi comme si tu voulais prendre toute la place dans ton lit. Vas-y ! À ton tour d’essayer.

  

 Et de fait, elle s’allongea sur l’onde, flotta quelques instants et se laissa couler. Aussitôt, Anton la saisit et la remonta à la surface. Elle s’agrippa à son cou pour se hisser, simulant un début de panique. Ses lèvres n’étaient qu’à quelques centimètres des siennes, mais elle souhaitait y aller progressivement. Elle nota cependant le trouble dans le regard de son maître-nageur improvisé.

  

    ─ Tu veux essayer encore une fois ? Je laisserai mes mains sous ton dos cette fois. Tu n’as rien à craindre.

  

 Elle sourit et acquiesça. Anton se retrouva ainsi, le corps de la naïade exposé juste sous ses yeux. Il ne pouvait que voir les seins que le maillot ne masquait plus. De même, la toison pubienne agrémentait le tissu d’un motif presque floral. Encore une fois, il s’étonna de l’invisibilité de cet organe dont elle avait mentionné la présence. Il en balbutia. Comme Thomas, il lui fallait voir pour croire. Elle lui demanda s’il était sûr de lui, s’il ne le regretterait pas ensuite.

  

 Kanyaphat extirpa d’entre ses cuisses ce supplément corporel qui intriguait tant d’hommes. Anton en resta médusé. Elle s’amusa dans un premier temps de son manque de réaction. 

  

    ─ Tu es bien silencieux, tout d’un coup. Aurais-tu perdu ta langue ?

    ─ J’ai peur de ne pas avoir les bons mots et de te blesser.

    ─ Après ce que j’ai entendu l’autre soir, je crois que tu as de la marge avant d’être blessant. Sache aussi que je prendrai en compte ton inexpérience en la matière.

    ─ Alors je me lance. Je je n’ai jamais été attiré par les garçons euh, je ne te considère pas comme un garçon, loin de là. Bon sang, je m’enlise déjà.

  

 Anton se passa une main sur le front, mais les gouttes qu’il essuya n’étaient pas toutes dues à l’eau de mer qui ruisselait de sa chevelure.

  

    ─ Tu préfères que je la renvoie d’où elle vient ?

    ─ Non. Je voulais dire que je n’ai aucune attirance particulière pour les verges, mais je trouve la tienne belle. En fait, elle me fait penser à un clitoris hypertrophié ; enfin, c’est comme ça que la vois.

  

 Kanyaphat se pendit à son cou, et effectivement Anton n’eut plus envie de se passer de guide. Lorsque la réverbération du soleil du soleil commença à piquer leur peau, elle l’attira sous les arbres dont l’ombre dévorait le fond de la plage. Elle trouva Anton subitement bien moins timide. Elle se laissa fondre sous ses mains, et s’il la dépassait d’une bonne vingtaine de centimètres, c’est avec délectation qu’elle en accueillit autant en elle.

  

 Si Anton n’était pas grand amateur des préservatifs ; il se félicita outre les raisons sanitaires d’en avoir enfilé un : il n’aurait pas tenu très longtemps, tant l’entrefesse de sa nouvelle amie avait les qualités du paradis. Ils passèrent la journée à aller et venir entre la mer et la plage. Il se crut priapique tant son désir était devenu insatiable. Il lui sembla qu’ils s’étaient endormis tous les deux un instant et l’un dans l’autre, succombant à cette débauche d’énergie.

  

 Ils essayèrent un beau catalogue de positions. Il appréciait tout particulièrement celle où, allongée et lui offrant ses fesses parfaites, il venait la couvrir. Elle était si menue qu’il avait peur de lui faire mal ; il redoublait alors d’attentions, la blottissait contre lui. Elle aussi adorait cette position où elle accueillait Anton dans le simulacre d’une soumission qu’il ne concevait pas de lui imposer, au point parfois qu’elle projetait son popotin en arrière, comme pour signifier, exiger qu’il la pénètre avec un peu plus de sauvagerie. 

  

 À partir de cette journée, ils ne prirent plus qu’une seule chambre. Ils s’empressèrent d’aller dans un dispensaire et de faire un test sérologique pour se dispenser de latex. Ils fêtèrent le résultat de la seule manière possible : Kanyaphat sut que cette fois-ci elle allait prendre cher, mais plus la note serait salée plus elle en redemanderait.

  

 Anton, assis sur son lit, repensait à ces premiers jours, comme pour réviser son histoire avant de la raconter à son entourage. Bien évidemment, il occulterait le passage de la plage dont le simple souvenir avait suffi à transformer son caleçon en chapiteau. Alors qu’il n’était qu’à moitié sorti de sa rêverie, il entendit du bruit dans la cour. Regardant par la fenêtre, il constata qu’une voiture inconnue était garée. Hélas, il avait été trop lent et ne put voir qui arrivait à cette heure-ci. On toqua à sa porte. 

  

    ─ Qui est là ? demanda-t-il en rabattant de justesse son peignoir pour masquer la bosse inopinée.

  

 Une tête passa par l’entrebâillement.

  

    ─ Hey, Gwenaëlle !

  

 Ils s’élancèrent l’un vers l’autre et se serrèrent dans leurs bras. Anton se rendit aussitôt compte de l’erreur qu’il venait de commettre.

  

    ─ Dis donc, frangin, je te sens très heureux de me revoir

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