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La quatrième couronne – Chapitre 2

La quatrième couronne - Chapitre 2



2 Le long voyage

Un jour et deux nuits se sont écoulés depuis ta fuite de Dariane, gronda Toris Tarel dans un froncement de sourcils, le temps presse. Tous les seigneurs sont certainement lancés à ta recherche ou le seront bientôt. Où vas-tu trouver refuge ?

Lena détailla la carte des trois couronnes étalée sur la table de la salle du conseil, une pièce sans richesse apparente conçue pour le labeur. Il lui fallait réfléchir vite afin de conserver une longueur d’avance sur le Lorin.

Là sera le dernier lieu où Alphan pensera me trouver.

Les quatre officiers témoins de la scène, dont son amie d’enfance la fidèle Hermione, observèrent sans broncher le doigt de la jeune femme pointé sur l’est du Tanys, au-delà du grand fleuve salé.

La terre des bannis deviendra la nôtre, déclama-t-elle, déterminée. Je l’aurais visitée un jour ou l’autre, cela se fera plus tôt que prévu.

Les traits déformés par une crainte légitime, le maître des Îles septentrionales tenta de contenir l’enthousiasme de sa fille.

C’est un monde sans dieux ni lois, des seigneurs de la guerre s’y affrontent pour quelques arpents cultivables, des écorcheurs vivent du maraudage, des pillards occupent les ruines des cités de l’ancien royaume de Kiros. Combien même parviendrais-tu à t’y faire une place, ces hommes n’obéissent à aucun roi.

Ils obéiront à une reine, martela Lena du poing sur la carte. Je ferai de la terre des bannis la quatrième couronne, comme par le passé. Combien de temps sera nécessaire à la pacification ? Je l’ignore, mais Kastarys la rose, une fois rebâtie, deviendra la capitale de mon royaume.

Nul n’ignorait l’histoire devenue une légende dont les origines se perdaient avant la naissance du roi sage Alchias, quand les dieux se préoccupaient des hommes. Le peuple de Kiros vivait en harmonie avec son voisin le Tanys. Kastarys était de mémoire la plus majestueuse cité jamais édifiée. Un mal terrifiant s’abattit un jour sur ses habitants, nul ne survécut. Dans les alentours, des hommes vigoureux furent incapables d’engrosser leurs épouses, des femmes accouchèrent d’enfants mort-nés ou difformes.

Aurais-tu perdu l’esprit, ma fille ? grimaça d’effroi Toris Tarel. On ne nomme pas ce lieu sans raison la terre de malédiction.

Malédiction ? Une ruse pour contraindre le peuple à l’obéissance. Des paysans s’y installent dans l’espoir d’un avenir meilleur, des caravanes font passer des marchandises, des hommes viennent y chercher une liberté qu’on leur refuse ailleurs, certains bâtissent des colonies. Gouvernée avec sagesse, cette terre retrouvera son faste d’antan.

Le seigneur de la maison Tarel soupira des sourires entendus de ses officiers, l’armée suivrait Lena sans hésiter où qu’elle aille, faisant fi de l’imaginaire populaire. Si sa fille réclamait l’impossible, chacun sur les Îles septentrionales s’empresserait de la satisfaire, homme ou femme, enfant ou vieillard, paysan ou guerrier. Malgré une vivacité d’esprit intacte après des années à la tête de la plus grande flotte des trois couronnes, lui-même s’en remettait souvent à ses décisions.

Quand pars-tu ?

À la marée du soir, répondit la jeune femme après réflexion, demain sera peut-être trop tard.

Moi, je vais rejoindre Dariane et faire semblant de rien, médita le vieux seigneur. Zenios assurera ma protection. Dois-je te dire adieu, mon enfant ?

Lena se laissa baiser le front, convaincue de revoir son père un jour ou l’autre, ici ou sur la terre des bannis.

L’armée de Zenios mettait Dariane sens dessus dessous sous le regard intéressé des hommes de la maison Lorin. La promise avait disparu sans laisser trace de son passage. Nul tenancier de taverne ne se souvenait l’avoir vue, personne n’avait franchi les portes depuis le début du tournoi auquel Lena avait assisté en compagnie d’Alphan, aucun des corps trouvés depuis deux jours n’avait ses traits. Enfin, la présence au port du navire de la flotte septentrionale ne plaidait pas en faveur de la fuite.

C’est à n’y rien comprendre ! maugréa le roi dans sa barbe devant ses deux hôtes de marque. Je vais ordonner que chaque bâtisse de la cité basse au château soit fouillée, on finira par la retrouver.

Le battage du pied de l’aiglon Lorin sur l’immense dalle tenait la salle du conseil en éveil ; la pensée de perdre la face supplantait l’immense déception de devoir renoncer aux terres grasses promises par le mariage. Il n’aurait de cesse de laver un tel affront par le sang de Lena Tarel, quitte à plonger les trois couronnes dans les affres d’une nouvelle guerre à outrance.

Le vieux Toris devrait déjà honorer la cour de sa présence, mon roi, cracha Alphan en proie à la fureur. Permettez-moi de gagner les Îles septentrionales, je débusquerai la garce de sa tanière.

Et sur la foi de quels témoignages ? Vous paraissez bien prompt à fourbir l’épée dans cette affaire. Le seigneur de la maison Tarel nous a prévenus de son arrivée tardive, attendons de l’entendre avant de lui jeter l’opprobre.

Muet, Askan Lorin blâma l’outrecuidance de son fils ; les rois des trois couronnes pouvaient annuler le mariage avant sa célébration s’ils sentaient leur pouvoir méprisé par un jeune coq prétentieux. Alors, son dessein de mettre la main sans coup férir sur les greniers des îles à l’ouest du royaume de Malvoy et de s’approprier la prestigieuse flotte septentrionale serait piétiné.

Ton impatience est insultante, Alphan, je te prierai de garder le silence ou d’aller déverser ton fiel dans nos appartements.

Laissez, seigneur Askan, plaida Zenios d’un ample geste de la main, la jeunesse ne s’encombre guère des lois de la bienséance de nos jours. Je dois vous demander de ne pas quitter le palais pour votre propre sécurité, jeune seigneur, nos gens supportent mal d’être molestés par un étranger.

Lena laissa s’évaporer un soupir dans la bise ; les vaisseaux noirs fendaient les eaux depuis cinq jours au nord de la voie maritime où tous les marins devaient désormais la chercher. La mer souvent agitée autour des Îles septentrionales s’était peu à peu calmée tandis que le froid devenait violent, intolérable. La relève des hommes de quart avait été doublée afin de les protéger.

On ne viendra pas nous trouver à la limite des glaces, gronda-t-elle l’il attentif à la dérive d’un iceberg. Combien de temps avant de croiser au large de l’Île noire ?

L’évocation du lopin de terre inhabité non loin de la cité de Kastarys ne troubla pas le marin, tant pis si les histoires de monstres s’avéraient réelles. Le seul avantage de naviguer dans ces eaux froides, hormis celui de la discrétion, était de ne jamais manquer de poisson, une aubaine qui permettait d’économiser les vivres.

Le Tanys sera derrière nous dans une petite semaine, une autre nous amènera au large de la terre des bannis dont on longera la côte par souci de discrétion. L’Île noire apparaîtra sur notre tribord dans trois semaines environ.

Tenir aussi longtemps sans mettre pied à terre allait éprouver la nervosité des cinq cents hommes et des cinquante guerrières de sa garde personnelle, sans oublier les trois cents chevaux répartis dans les cales ; pourtant, le choix ne lui appartenait plus vraiment, à moins de prendre un risque plus inconsidéré encore.

Et pour la péninsule de la forêt des morts ?

Le capitaine souffla en vain sur ses mains emmitouflées, aucune chaleur ne jaillissait de sa bouche maculée de givre. Naviguer en dehors de la voie maritime connue n’avait pas que des avantages.

Une semaine de moins, sourit l’officier inébranlable. Cela nous éviterait d’avoir à rationner l’eau douce.

Les équipages croisant au large de la sombre forêt impénétrable, d’où émanaient des hurlements bestiaux effroyables jamais entendus nulle part ailleurs, craignaient de s’en approcher, ils refusaient davantage encore d’y jeter l’ancre ; toutefois, les hommes des Îles septentrionales n’étaient pas aisément impressionnables.

Tu es dans le vrai, mon ami, nous en parlerons le moment opportun. Pour l’instant, gardons-nous de ces morceaux de glaces à la dérive. Un bain forcé ne me paraît guère souhaitable dans cette mer.

Lena disparut dans l’entrepont où le froid écaillait l’eau sans toutefois la geler, elle se sentit renaître. Lysabelle se précipita avec un bol de vin chaud.

Pourquoi n’es-tu restée aux Îles septentrionales sous la protection de mon père, on se prépare à une vie de danger.

Tu m’apprendras à les combattre, pouffa la jeune femme portée par un optimisme forcené, c’est le prix de la liberté.

Espérons que celui-ci ne soit pas trop élevé, susurra Lena pour elle-même, le nez dans le bol de grès fumant.

L’entrée des trois rois ramena un silence précaire dans la salle du trône, des trônes à l’occasion. Zenios siégeait temporairement au centre, à la tête des trois couronnes pour deux ans, puis Alban de l’Angry prendrait sa place avant de la céder à Iggar de Malvoy, et ainsi de suite. L’alternance ménageait la susceptibilité des trois souverains au gain de la paix. Chacun restait maître sur sa terre, le haut conseil ne s’immisçait que dans les affaires entre royaumes.

La confiance de la maison Lorin a été trahie, la seigneurie des Îles septentrionales a organisé la fuite de dame Lena Tarel. Je demande réparation en mon nom et en celui de mon père, gronda Alphan, désappointé d’être devenu en peu de temps l’unique cible des moqueries de la cour.

Allons ! Je suis arrivé à Dariane de mon plein gré voici deux jours, espérant y voir ma fille qui devait se marier aujourd’hui. En quoi serais-je coupable de trahison envers la maison Lorin ? Fouillez nos terres si vous le souhaitez, mais amenez votre nourriture, vous n’êtes pas nos invités.

La colère du seigneur Tarel résonna entre les murs épais, la disparition inexpliquée de la damoiselle provoquait des tensions à la cour entre les bannerets du Malvoy et ceux de l’Angry. Les jeunes guerriers au sang chaud y voyaient là une première occasion de démontrer leur valeur au combat, la guerre n’avait jamais été aussi proche depuis quinze ans. Mais les anciens se souvenaient des plaines jonchées de cadavres, de la souffrance infligée à tous sans distinction de naissance ; la paix était préférable au malheur.

Lancez-vous à sa poursuite, consentit le roi Iggar après un bref entretien en aparté avec ses pairs, nul ne vous en tiendra rigueur. Néanmoins, le Malvoy ne tolérera aucune agression envers la maison Tarel. La disparition de dame Lena ne saurait être imputée à son père.

Un fait m’intrigue dans cette histoire, grimaça Zenios dont l’esprit restait en éveil même pendant son sommeil, pourquoi aurait-elle honoré la cour de sa présence avant de s’enfuir ? Elle aurait pu simplement ne pas se présenter si la seule idée de ce mariage la contrariait. Quoi qu’il en soit, le Tanys se range au côté du Malvoy, un acte inconsidéré entraînera une guerre que vous ne saurez gagner.

Alban considéra l’Aigle lorin et l’Aiglon côte à côte au premier rang de l’assemblée, une seule décision s’imposait.

L’Angry ne saurait s’opposer les armes à la main à un de ses glorieux vassaux dont la valeur fait la fierté de notre royaume. Aussi, dans le cas où la maison Lorin refuserait de se conformer à l’avis du conseil, nous observerions une entière neutralité. En outre, j’accorderai à vos voisins le droit de vous combattre si vous exportez une guerre qu’ils n’ont pas souhaitée sur leurs terres.

Alphan blêmit d’entendre le roi Alban le lâcher, une trahison à ses yeux ; Zenios se leva, imité par ses pairs.

La maison Tarel n’est pas jugée responsable de la décision de Lena, cette dernière est déchue de ses droits sur les Îles septentrionales jusqu’à son union avec Alphan de la maison Lorin. Tout seigneur des trois couronnes qui donnera asile ou viendra en aide à la fugitive sera arrêté pour trahison, ainsi en a décidé le haut conseil.

Le brasero rougeoyant peinait à réchauffer la cabine supérieure où Lena avait installé ses quartiers sous la dunette, la bonne humeur s’en chargeait. Lysabelle contempla les officiers présents avec une pointe de circonspection. Hermione, mollement installée près de son époux, le gavait de pain aux épices comme une mère aurait donné la béquée à un enfant en bas âge.

Lena riait à pleine gorge de la situation, une main sur l’épaule solide du capitaine du navire. Les histoires succédaient aux souvenirs, cocasses pour la plupart, impudiques parfois, mais jamais sordides. La jeune femme du Tanys se remémora quelques scènes de libation dans le salon de sa maison à Dariane, auxquelles elle avait assisté à l’abri derrière une tenture pour ne pas attiser le courroux de son père.

Ici, dans l’entourage proche de Lena, la notion d’hommes et de femmes avait disparu, ou elle n’avait jamais existé. Lysabelle s’en satisfaisait ; néanmoins, une sombre réalité lui interdisait de se mêler aux réjouissances. Les navires voguaient toutes voiles dehors vers la terre des bannis d’où l’on ne revenait pas. Témérité ? Insouciance ? Elle aurait aimé le savoir.

Ils étaient cinq cents marins et guerriers à suivre Lena en connaissance de cause, sans compter sa garde personnelle, elle aurait pu en entraîner cinq milles ou davantage ; mais c’eut été mettre les Îles septentrionales en danger, a fortiori son père qui devait feindre en ce moment même à la cour du roi Zenios d’ignorer le dessein de sa fille unique. Une telle fidélité des uns envers les autres méritait le respect.

Pourquoi tant de morosité ? s’inquiéta la donneuse d’ordre en installant Lysabelle sur ses cuisses. Ton moral était meilleur ce matin.

Je pensais chaque mot, n’en doute pas. Seulement, votre légèreté à tous m’étourdit. À vous entendre, on croirait naviguer pour les jardins fleuris de Laristanis, non vers une destination sans retour.

Hermione posa une main rassurante par-dessus la grande table de cèdre sur celle de la jeune femme.

Qui a dit sans retour ? Rien n’est écrit à l’avance, jeune amie, le destin se forge comme l’épée ou le soc de la charrue.

Lysabelle s’en voulait presque d’avoir douté de ses compagnons de voyage, elle tenta de nicher sa joue dans le cou de Lena. Cette dernière, sans la repousser vraiment, adopta une attitude de grande sur davantage que celle d’une amante.

Si nous ne trouvons pas de jardins, lui susurra-t-elle à l’oreille, nous en planterons à ton intention. Ceux de Laristanis paraîtront pâles en comparaison.

La matinée s’annonçait belle malgré la froidure sur la capitale du Tanys, un vent sec débarrassait l’imposant bouleau dans la cour du château de ses branches dénudées les plus fragiles. Alphan enviait la main mise de la bise sur son univers, rien ne semblait pouvoir l’arrêter. La décision du conseil des trois couronnes entérinée une semaine plus tôt lui restait en travers de la gorge, le besoin d’action le rendait nerveux.

Pourquoi demeurer à Dariane, père ? Je devrais me lancer à la poursuite de Lena sans plus attendre. Votre honneur est aussi bafoué dans cette histoire.

Askan Lorin prit soin de tourner la cuiller dans sa coupe de thé brûlante. Il appréciait de laisser les feuilles infuser l’eau lentement jusqu’à la rendre noire.

D’abord parce que nous sommes les hôtes du roi Zenios, se soustraire à l’invitation serait malvenu. Ensuite, où irais-tu chercher ta promise, sur les Îles septentrionales ? Je doute qu’elle y soit encore.

L’apparente désinvolture du père dérangea le fils qui préférait la bière au thé, ou à tout autre breuvage. Il se rinça la gorge d’une belle lampée tiède à la saveur amère d’orge et de houblon mêlés.

Je finirai par la rattraper, dussé-je fouiller chaque recoin des trois couronnes. Elle apprendra l’obéissance de ma main.

Cette donzelle n’a rien des jeunes écervelées que tu culbutes d’habitude avec une vaillance de soudard. Aie le courage de tes actes ! gronda Askan face à l’indignation de son fils. Tu crois que j’ignore ton attitude ? Le principal n’est pas là, plutôt de savoir où commencer les recherches.

Inquiet qu’un serviteur ou un garde zélé alerté par le cri de son père ne surprenne la conversation, Alphan surveilla un instant la porte de l’antichambre. Les appartements de la famille Lorin retrouvèrent leur calme.

Vous avez une idée ?

Fais capturer quelques besogneux sur l’Île aux mouettes, la capitale de la maison Tarel se passera de quelques bras. Pas beaucoup pour ne pas donner l’alerte, deux ou trois qui chargent les navires au port suffiront, nous les ferons parler.

Le regard brillant d’un nouvel espoir, Alphan se leva. Quelle question de demander si son père tenait ou non une solution à leur problème ! Le vieil aigle n’avait rien perdu de sa clairvoyance.

Attends, fils, commanda Askan circonspect. Que tes hommes prennent des pauvres bougres vivant seuls, dont la disparition ne soulèvera aucune question, et surtout qu’ils ne les amènent pas à Dariane. Nous les interrogerons dans notre fief.

Cela va prendre trop de temps, père, la garce aura tout le loisir de disparaître, elle se dissimulera dans un trou.

Le soupir du patriarche de la maison Lorin emplit l’antichambre d’un gémissement de douleur. Il aurait souhaité que son héritier réfléchisse davantage au lieu de réagir aux événements ; malheureusement, la bière lui obscurcissait souvent l’esprit.

Elle a déjà disparu ! Quant à l’imaginer terrée, ce serait mal connaître Lena Tarel. Cette fille possède certaines qualités que j’apprécierais de retrouver chez toi.

La mer s’était montrée charitable, la petite flotte avait gagné presque une journée sur les prévisions les plus optimistes. Lena, enchantée de fouler le sable fin, ne voulait pas imposer une nouvelle nuit à bord à ses troupes, le va-et-vient des chaloupes affectées au déchargement des navires arriva à son terme avant qu’un pâle soleil n’effleure les eaux profondes entre la péninsule au nord de la terre des bannis et le Tanys à l’Ouest. Des feux de bivouac ornaient la bordure de l’immense plage de fleurs orangées.

On n’a pas à redouter une attaque-surprise, observa Hermione, le regard tourné vers la forêt à un quart de lieue environ.

Non, gloussa Lena, mais j’aimerais inspecter la lisière avant la nuit, en selle.

Les jeunes femmes firent la course comme des gamines écervelées en direction des chevaux attachés à des piquets profondément enfoncés dans le sable, entraînant derrière elles une trentaine de cavaliers heureux de pouvoir se défouler. Les montures scellées, la patrouille s’éloigna au galop sous le regard attentif de Lysabelle, un peu jalouse de ne pouvoir les accompagner.

L’oisiveté de Dariane ne te manque pas trop ? demanda Cybèle d’une voix posée. La vie d’une troupe en campagne n’a rien d’une villégiature.

Lysabelle sourit à la guerrière qui n’en finissait pas de polir le tranchant de son épée avec une pierre de grès.

Au contraire, le labeur ici a davantage le goût de la liberté que le désuvrement là où je vivais enfermée. La cohésion de votre communauté fait plaisir à voir, j’espère en faire partie bientôt.

C’est déjà le cas, s’esclaffa Cybèle d’un rire clair. Bientôt, je t’apprendrai à manier l’arc. Si tu ne possèdes pas toutes les vertus d’une guerrière, tu sauras te défendre.

Je t’en serai mille fois reconnaissante, remercia Lysabelle.

Un hurlement animal provenant de la forêt fit taire les rumeurs joyeuses de la troupe occupée à ordonnancer le camp.

Les montures familiarisées avec le tumulte des combats gardèrent leur calme. Après un bref silence, une plainte lugubre succéda aux rugissements avant de s’évanouir. Lena, l’épée à la main, sauta à terre, aussitôt imitée par les trente cavaliers. Rien ne bougeait à l’orée de l’épaisse forêt sombre d’épicéas excepté les branches hautes malmenées par la brise légère, reliquat d’une forte rafale de vent du Sud. Le souffle furieux qui avait porté l’horrible clameur s’était envolé.

Cela semblait pourtant proche de nous, s’étonna Léonce, et nos chevaux auraient flairé l’odeur de bêtes sauvages. Ils paraissent davantage attirés par l’herbe qui pousse dans la forêt qu’inquiets d’une présence.

Lena, tenaillée par un doute, dévisagea l’époux d’Hermione. La vocifération pouvait passer de loin, sur un navire au large par exemple, pour celle d’un animal. De près, cela ressemblait davantage à un son monocorde comparable à celui d’une trompe de chasse. Le jour faiblissait, le temps lui pressait de résoudre le mystère avant la nuit.

Allons voir de quoi il retourne.

Suivie de près par ses guerriers, Lena passa la première rangée d’arbres. Le toupet d’un lapin se faufila entre les fourrés, le croassement nerveux d’une corneille l’incita à lever la tête pleine de questions. Pourquoi des animaux aussi craintifs n’avaient-ils pas pris la fuite en entendant les hurlements ? Elle pointa un doigt fébrile vers une ramure à deux fois la hauteur d’un homme.

Par exemple ! s’exclama la jeune femme en apercevant la corne de bois géant, nos épées seront mieux au fourreau.

La découverte à peine dissimulée par les aiguilles d’épicéa aviva des rires moqueurs, il n’y aurait pas d’affrontement ce soir. Hermione s’intéressa aux liens qui permettaient à l’étrange instrument de musique de tenir en équilibre.

Au moins, prédit-elle, aucune monstruosité dévoreuse de chair humaine ne viendra nous attaquer durant notre sommeil. Par contre, la forêt est habitée.

Ce n’est guère de bon augure, grinça Lena l’il aux aguets sur les environs. La nuit tombe, rejoignons le campement avant de faire une mauvaise rencontre ou j’en connais au moins une qui mourra d’inquiétude.

Hermione sourit en son for intérieur ; l’apparente désinvolture de son amie envers la jolie blonde pouvait masquer une certaine tendresse aux yeux de la troupe, pas à ceux de ses proches. En revanche, Lysabelle laissait ses sentiments s’exprimer en public sans aucune honte ; la sensibilité des femmes de Dariane était considérée comme valorisante pour les hommes de haute naissance.

L’humeur joyeuse autour des feux saluait l’absence de monstre à l’horizon. Des chansons de-ci de-là célébraient la douceur de vivre sur les Îles septentrionales ou évoquaient un amour délaissé. Marins et guerriers mêlés s’embrumaient l’esprit de bière amère sous un ciel clément, la relative fraîcheur nocturne passait pour de la douceur au souvenir de la froidure extrême de la mer des glaces.

Une trentaine d’hommes dormaient déjà sous quelques tentes dressées en bon ordre, eux n’avaient bu que de l’eau pour des raisons de service. Des officiers les réveilleraient quand leurs camarades repus tomberaient de fatigue. Ils assureraient la sauvegarde du camp jusqu’au matin en sentinelles consciencieuses, les yeux et les oreilles aux aguets, leur propension à la fête s’exprimerait une autre fois.

Cinquante resteront près des navires. Les autres avanceront ici, ici et là, dévoila Lena sur la carte grossière tracée dans le sable. Les trois colonnes devront progresser à la même allure.

Tu veux traverser la forêt ? demanda Hermione incrédule. Nous avions convenu de débarquer à hauteur de l’Île noire au plus près de Kastarys. On se penchera sur le sort de ces individus plus tard.

Quelques curieux se joignirent aux officiers. Le besoin de bouger tiraillait les jambes après de nombreux jours en mer, les interminables chevauchées et les longues marches convenaient davantage à leur nature d’aventuriers que le relâchement sur un navire.

Les hommes dans ces bois sont assez perspicaces pour savoir éloigner les curieux avec leurs cornes géantes, or je crains davantage l’intelligence que la force brute. Nous affronterons de nombreux adversaires au Sud, inutile de laisser une troupe susceptible de nous prendre à revers.

Lena reprit son souffle dans une longue gorgée de bière avant de hausser le ton sans rien perdre de son calme.

La terre n’est pas riche en pierres précieuses, ou les rois des trois couronnes se la seraient déjà disputée. Toutefois, elle est giboyeuse et cultivable, les bannis parviennent à en vivre, nous y arriverons aussi. Quelques colons se sont regroupés en colonies, nous en ferons des alliés. En revanche, il nous faudra soumettre les bandes de pillards et les tribus d’égorgeurs au fil de l’épée, en commençant par la forêt. Puis nous avancerons au sud où se trouve la cité de Kastarys.

Un silence prudent accueillit la proclamation. La violence des combats n’effrayait guère les hommes rudes à l’effort, l’ignorance en revanche faisait des ravages sur les esprits. Une voix traduisit la pensée d’une partie de la troupe.

Sans vouloir t’offenser, Lena, qui sait si le mal ne nous guette pas dans l’ombre de ce lieu maudit ?

Un marin de haute stature s’avança, sa pondération reflétée dans les hautes flammes fit taire les rumeurs.

Moi, car j’y suis né. Voici bientôt trois ans, parti à la découverte des merveilles de Laristanis, j’ai été sauvé des eaux par un navire de votre flotte près de l’Île noire. La cité rose est tenue par des tribus de barbares qui ne sont que des hommes, je n’ai jamais vu de monstre.

Nous viderons la cité de sa mauvaise engeance, reprit Lena la tête froide, pour en faire la capitale d’un royaume nouveau selon certains de nos principes. La récompense sera accordée au mérite, les faibles y trouveront un refuge, les forts mettront leur épée au service de tous. Un conseil statuera sur les décisions à prendre, mais je me montrerai intraitable sur des fondements inviolables, la voix d’une femme vaudra autant que celle d’un homme et l’esclavage déclaré hors-la-loi.

Lena possédait sans doute l’intelligence de mener à bien son audacieux dessein. En avait-elle les épaules ? Les volontaires à l’aventure peu commune en étaient persuadés.

Cette guerre en vaut une autre, grommela un capitaine avant de lever sa chope. À la reine Lena ! Et si les dieux ne sont pas d’accord, qu’ils aillent se faire foutre !

La fête s’essoufflait, des complaintes psalmodiées troublaient encore la nuit de-ci de-là, mais la plupart des hommes prenaient déjà du repos. Ceux de la garde, dispersés en arc de cercle autour du campement, tiraient à intervalles constants quelques flèches à la pointe enflammée afin d’augmenter leur champ de vision. Lena dégrafa sa veste de cuir frappée des armoiries de la maison Tarel.

Que fais-tu sous ma tente ? soupira-t-elle, consciente d’une présence dans son dos. Tu devrais dormir, Lysabelle, demain sera éprouvant.

La jeune femme se réchauffa les mains au-dessus du brasero dont la lueur dansait en reflet sur les parois de la grande tente.

Comment as-tu su que c’était moi ?

Ton parfum, sourit la reine consciente de la raison de la présence de sa protégée. Je pensais avoir été claire l’autre soir, mon devoir me prive de toute relation affectueuse, du moins pour l’instant. Tu trouveras bientôt une femme capable de faire ton bonheur, j’en suis persuadée.

Lysabelle aida Lena à se dévêtir entièrement puis l’allongea sur l’épaisse couverture de laine de mouton qui recouvrait la couche installée près du feu. La nudité lui apparut plus désirable encore que la première fois à Dariane.

Qui te parle de sentiment ? Une reine se doit d’avoir les idées claires, la frustration ne sera pas ton alliée dans cette aventure.

Lysabelle contempla les rondeurs offertes à son attention, les seins lourds aux tétons saillants, le nombril profond, la toison sombre entre les cuisses pleines ouvertes comme une invite au plaisir. Elle aurait pu admirer l’éclat de la nudité toute la nuit, silencieuse et immobile, mais le souffle impatient de Lena la ramena à la raison.

Les yeux pleins de promesses, décidée à ne rien brusquer, elle flatta la taille jusqu’à une hanche pleine puis palpa le ventre tendu. La chair, brûlante de savourer ce rituel qui faisait d’elle une femme accomplie, sollicitait l’exubérance.

Hummm… gémit la victime du délicieux tourment.

Lysabelle, impuissante à se contenir, lécha la gorge de son amante avec bonheur, le velouté de la peau la poussa à la hardiesse. Sa bouche traça des sillons humides jusqu’à la poitrine. Elle s’attarda sur un sein, en pinça le téton entre ses lèvres, puis se pencha sur le second. Un soupir ému l’incita à l’audace.

Lena ne chercha ni à comprendre ni à se défendre, simplement heureuse de ressentir l’étrange émotion. La science amoureuse révélait chacun des endroits sensibles de son corps, les fêtait. Elle se sentait prête à être sacrifiée sur l’autel de la volupté.

Lysabelle s’enhardit d’une main dans la toison soyeuse tandis que l’autre caressa les seins avec fermeté, sa langue titilla le nombril sans s’y attarder. Consciente que le temps leur manquait, elle porta les lèvres à la vasque fleurie.

Lena ouvrit les yeux, comblée par l’audace de son amante, incapable de retenir un râle de bonheur. Plus rien n’importa en cet instant que la main sur sa poitrine, la langue dans son antre, cette sensation extraordinaire. Elle dégrafa à l’aveugle le pantalon de cuir de sa compagne pour l’entreprendre d’une main tremblante.

Comblée par la caresse inattendue, Lysabelle fouilla la grotte avec avidité. Le miel odorant l’enivra tandis que les doigts maculés de sa propre sève labouraient son intimité. Attachée à la réceptivité de son amante, Lena entreprit le clitoris d’un ongle impatient. La blonde fit de même de la pointe de la langue.

Les jeunes femmes se livrèrent sans retenue, perdues dans la multitude de sensations. Lysabelle se rendit la première, étonnée qu’une simple caresse puisse l’amener à un tel bonheur. Dans l’ivresse de l’extase, elle pinça entre ses lèvres le bouton de son amante qui sursauta sur la couche. Lena la suivit aussitôt, le souffle coupé par la violence de la jouissance, la main sur la bouche pour s’empêcher de crier. Les deux femmes guettèrent le retour au calme sans bouger, attentives à savourer l’instant pleinement.

Silastre huma l’air frais, désappointé. Les traits lumineux fendaient la nuit avec une désagréable régularité, les sentinelles ne semblaient pas sur le point de s’assoupir. Ses hommes commençaient au contraire à lâcher prise, les dix volontaires tapis dans le sable peinaient à garder les yeux ouverts.

Tu crois qu’ils sont à notre recherche ?

La main sur l’épaule de son second, Silastre secoua négativement la tête, ses longs cheveux sombres ondulèrent par vagues.

Non, ils auraient débarqué au matin pour investir la forêt aussitôt. Ou nous sommes confrontés à l’avant-garde d’une armée, le jour le dira.

Sans se concerter, les deux hommes se tournèrent ensemble vers l’est où une lueur pâle redessinait l’horizon. La veille inutile prenait fin.

Nous le saurons bientôt, soupira Clitaire désabusé. Si ce matin devait être le dernier pour nous, j’espère que nos hommes seront à la hauteur.

Silastre sourit à son ami dans la pénombre.

Ils défendront le camp vaillamment. Après…

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