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Les filles d'Artémis – Chapitre 2

Les filles d'Artémis - Chapitre 2



Lysippé lança un regard de défi à la montagne.

  Nous franchirons le col des Ménades cette nuit, grimaça-t-elle.

  Après son départ de Kastanas, la troupe avait traversé une suite de collines boisées et de plateaux verdoyants au rythme tranquille des montures, jusqu’à contourner cinq jours auparavant la grande cité qu’on ne nommait pas encore Amphipolis. Puis l’ascension des contreforts escarpés du Pangée avait permis d’éviter les garnisons installées près de la mer Égée.

  On ne voit rien à plus de dix pas, s’inquiéta Danaé, il vaudrait mieux partir au lever du soleil.

  Fais-moi confiance, mon enfant, la nuit nous permettra de rester invisibles à la vue des patrouilles. Nous atteindrons la Thrace demain.

  Le passage sera difficile, prédit Hélène à l’instant d’enfourcher sa monture, je vais prendre la tête.

  Oui, admit la mère dans un soupir, nous n’aurons pas de repos avant d’être à l’abri de l’autre côté du fleuve.

  La petite troupe se mit en marche au pas prudent des chevaux sur le sentier difficile. Davantage préoccupée par la sécurité de ses compagnes que de satisfaire l’arrogance des dieux, Lysippé cessa d’embellir l’expédition des contes et des légendes dont ses filles se délectaient.  Seuls les soubresauts du chariot malmené contrarièrent le silence de la nuit.

  Gage d’une indépendance encore inconcevable quelques jours plus tôt, les Amazones se montraient opiniâtres devant les difficultés. La déesse de l’amour et de la beauté ne s’était sans doute pas intéressée à Lysippé par hasard.

   

  Hélène prêta une attention particulière au moindre obstacle sur le sentier rocailleux à l’approche du dernier sommet. La piste ressemblait à un passage entre deux mondes qu’empruntaient chaque jour les convois chargés du précieux minerai d’argent destiné aux caisses du régent. La princesse doutait d’en rencontrer après le coucher du soleil, au risque d’y perdre leur cargaison indispensable à l’effort de guerre comme aux rêves de grandeur d’Alphée.

  Le blé de Scythie débarqué sur les rives de la mer Égée et l’argent extrait du Pangée, les seules richesses au nord de Kastanas, attisaient nombre de convoitises. Aucunement découragés par les nombreuses patrouilles, les brigands ne laissaient guère de répit à un peuple désabusé. Hélène retint sa monture soumise de la bride à l’instant d’aborder une courbe serrée. Lysippé se porta prudemment à hauteur de son aînée.

  Pourquoi t’arrêtes-tu ? murmura-t-elle.

  J’aperçois la lueur d’un feu de camp, mère. Écoutez ces plaintes, nous ne sommes pas seules.

  Lysippé redoubla d’attention, les yeux et les oreilles aux aguets. Portés par une brise légère, les gémissements amplifiés par l’écho prirent une dimension lugubre. Elle aussi distingua un vague reflet rougeoyant dans l’obscurité.

  Une présence n’augure rien de bon, gronda-t-elle, des caravaniers n’oseraient pas établir un campement en ce lieu inculte.

  Un berger sur la piste des pâturages a peut-être aidé une brebis à agneler, se voulut rassurante Hélène.

  Les premières chaleurs annonçaient la nouaison, les fruits se gorgeaient d’une pulpe charnue sur les oliviers, Lysippé préféra suivre son instinct.

  Les bergers sont partis depuis longtemps, et les grincements du chariot auraient alerté une troupe régulière.

  Laissez-moi y aller, mère, s’impatienta la princesse sans angoisse apparente. Nous ne pouvons pas rester à palabrer toute la nuit.

  Lysippé dont l’hésitation tranchait avec la détermination de son aînée se mordit la lèvre inférieure en signe d’inquiétude.

  Il y aura certainement du danger.

  Ce moment devait venir, reconnut Hélène fataliste. S’il faut donner la mort pour que nous passions, je la donnerai.

  Depuis leur fuite, Lysippé préparait ses filles de son mieux à mener une existence de guerrière, elles devaient se tenir prêtes au combat à chaque instant. Néanmoins, aucune mère ne pouvait s’en réjouir. L’initiation aux arts de la guerre faite dans le secret, elles ignoraient tout d’une confrontation face à un adversaire déterminé.

  Ce n’est pas un jeu, Hélène. Tu ne pourras pas te relever comme à l’entraînement en cas d’échec.

  Je serai prudente.

  La princesse débarrassée de sa cape encombrante abandonna l’arc en orme et la longue lance appelée sarisse pour empoigner son glaive. Elle incita enfin son coursier à la patience d’une caresse sur l’encolure.

  Va, gronda Lysippé à contrecur. Utilise tes armes pour tuer, c’est compris ?

  Après un acquiescement de circonstance, l’ombre silencieuse d’Hélène glissa le long de la paroi rocheuse, là où l’absence de lune là rendait invisible, elle disparut bientôt à la vue du groupe. Sa mère et ses surs se délestèrent aussitôt de leurs lourds manteaux avant de s’engager à leur tour dans la courbe, laissant les montures près du chariot sous la garde des suivantes.

   

  À la lueur d’un feu de camp presqu’éteint faute d’entretien, Hélène s’attarda sur une vision d’ensemble de la situation. Six formes humaines protégées par des couvertures de laine somnolaient près du brasier, inconscientes de la présence. Les mules se reposaient non loin du chariot avec les chevaux au nombre de sept. Animaux et maîtres restèrent impassibles au grand soulagement de la princesse. À une douzaine de pas au flanc de la montagne, des silhouettes pressées les unes contre les autres pour se protéger du froid mordant laissaient échapper une litanie de plaintes.

  L’installation hasardeuse du camp sur la piste, le ronflement irrégulier des silhouettes assoupies près du feu, les émanations enivrantes d’un vin de mauvaise qualité, les sanglots du petit groupe accolé à la paroi rocheuse, chaque élément trouva sa place dans l’esprit à vif de l’observatrice attentive. L’évidence la fit frémir.

   Par Artémis ! murmura-t-elle écurée par la pratique banale en ces temps anciens. Des marchands d’esclaves, j’aurais dû m’en douter.

  Un hurlement soudain au sein du groupe roula comme le grondement d’un orage de montagne, mettant un terme à sa réflexion. Les hommes à peine conscients sursautèrent, les deux premiers moururent avant de saisir leur glaive. Le vacarme remplaça le silence, des cris de douleur mêlés au fracas des bronzes entrechoqués tirèrent la nuit de sa torpeur. Lysippé se précipita dans la mêlée.

  Hélène ! s’écria-t-elle. Derrière toi !

  L’esquive de la princesse suffit à la mère pour rejoindre sa fille. L’engagement fut bref, violent. Les silhouettes dos à dos des guerrières se découpèrent bientôt au milieu de six formes humaines inertes à leurs pieds. Lysippé s’efforça de retrouver son calme.

   

  Tout va bien ? Tu n’es pas blessée ?

  Hélène raviva le feu d’un coup de pied.

  Non, mère. Ces brigands dormaient, sans doute ivres. Regardez !

  Les silhouettes tassées contre la paroi rocheuse observaient la scène en silence. Elle dégagea sa longue chevelure du casque.

  Ne craignez rien. Nous ne sommes pas des brigands.

  Thémis imita sa mère avant de se précipiter sur les captifs dont elle trancha les liens avec précaution.

  Par exemple ! s’exclama-t-elle abasourdie. Des jeunes filles !

  Les quinze prisonnières trop légèrement vêtues de haillons pour supporter le froid de la nuit tremblaient surtout de peur. La plus jeune n’avait pas douze ans, la plus âgée moins de vingt.

  Il faut aider ces malheureuses, ordonna la princesse en couvrant les épaules d’une fillette affolée. Viens avec moi, je vais prendre soin de toi.

  Rassurée par la gentillesse à son égard, la petite accepta de suivre Thémis jusqu’au chariot où Sypsô et Zélie s’affairaient déjà, les autres leur emboîtèrent le pas. Désireuse d’instaurer l’indispensable confiance, consciente que les questions pouvaient attendre, Lysippé se concentra sur l’essentiel.

  Approchez, mes enfants. Venez vous réchauffer près du feu de camp, prenez des fruits et du pain.

  Des amples manteaux de laine furent distribués avec la nourriture, aussitôt remplacés dans le chariot par les armes des brigands. Les princesses s’activèrent sans précipitation dans le calme revenu, Hélène fit l’inventaire des maigres biens laissés par l’adversaire, désormais propriété des Amazones.

  La dernière passe du Pangée représentait à bien des égards une épreuve. Consciente de la dureté du chemin à parcourir en compagnie de faibles jeunes filles, Lysippé refusa de précipiter le départ sans être rassurée sur leur état.

  Vous savez où vous emmenaient ces brigands ? Parlez sans crainte, vous êtes sous notre protection désormais.

  Les visages marqués d’une profonde détresse se tournèrent vers cette femme d’allure surprenante dont l’autorité naturelle inspirait confiance. Sypsô profita de la diversion pour panser des pieds maltraités par une longue marche sur la piste rocailleuse.

  Ils allaient nous vendre aux contremaîtres des mines, rapporta la plus âgée.

  Où sont vos familles ? demanda la princesse étonnée de la tristesse ambiante. Nous vous ramènerons à eux.

  Les brigands ont tué nos parents.

  Lysippé observa les malheureuses, amère de ne pas avoir deviné l’étendue du drame. Aphrodite avait raison de vouloir changer l’ordre des choses, naître femme s’apparentait à une fatalité. Cette rencontre donnait un sens à sa quête.

  Nous allons vous amener en sécurité au prochain village, promit-elle avec allant, de braves gens vous recueilleront. Comment te nommes-tu ?

  La jeune femme rassurée sur son proche avenir se laissa aller à un petit sourire triste.

  Amapola.

  Ce n’est pas chose facile, mon enfant, murmura Lysippé à son oreille, mais tu dois te montrer forte. Ton exemple servira les plus jeunes, tu comprends ? Nous dépendons les unes des autres. Tu sais monter à cheval, je présume.

  Oui noble dame.

  Alors celui-ci est à toi.

  Amapola reconnut la force de caractère malgré la douceur de la voix, elle saisit la bride tendue par sa bienfaitrice. Les aînées enfourchèrent les montures des brigands, les moins robustes furent hissées dans les chariots. Hélène pressa Thémis de prendre la tête de la colonne. À son côté, Amapola inspira la princesse.

   

  Le long cheveu sombre ceint du traditionnel lacet de cuir, les pommettes colorées, le visage lisse, le menton délicat sous la bouche fine, la jeune femme rappelait à Hélène son amante abandonnée au palais de Kastanas. Elle aussi montait avec la légèreté d’une cavalière émérite, la tête haute mettant le buste en valeur, une poitrine arrogante dont le souvenir hantait son esprit désormais.

  Oui, Hermia lui manquerait moins cette nuit en présence de la gracieuse Amapola. « L’infidèle doit déjà se consoler à la couche d’un guerrier. » sourit la princesse en son for intérieur, heureuse de ne ressentir aucune jalousie. Envahie par un doute, elle fronça le regard sur l’horizon nocturne.

  Je suis désolée de te rappeler tes malheurs mais une question me brûle les lèvres. As-tu connu ces hommes dans ta chair ?

  La princesse se surprit à prier les divinités tant le viol lui apparaissait comme un crime des plus odieux.

  L’appât du gain les poussait à garder intactes nos virginités. Aucun homme ne s’est jamais rendu maître de moi, j’en suis heureuse.

  Hélène dissimula un soupir de soulagement derrière un masque d’indifférence.

  Vu leur état d’ébriété, la vigueur leur aurait certainement fait défaut.

   

  L’obscurité dissimulait de nombreux dangers à l’approche du col des Ménades. La froidure intense de l’altitude mordait les chairs malgré la protection des lourds manteaux, la voute céleste parsemée d’étoiles semblait se nourrir de la chaleur de la terre. Rejointe par Lysippé en tête de colonne, Thémis s’enquit de la volonté de sa mère sans relâcher son attention.

  Celles dont nous avons la charge seront abandonnées à un sort cruel dans le prochain village, les paysans les soumettront à leur volonté. Qu’allons-nous faire ?

  Je l’ignore, mentit Lysippé pressée de contraindre sa fille à une réflexion avancée.  Quelle décision prendrais-tu à ma place ?

  Bien des dangers les menacent dans cette région comme en notre compagnie. Ici cependant, elles seront condamnées à l’asservissement par leur condition. Nous pourrions au moins leur enseigner à se battre.

  Quelle serait ta sentence ?

  La princesse prit le temps d’une intense réflexion. De son aptitude à prendre la bonne décision dépendait le destin des quinze jeunes filles. Il lui fallait apprendre à maîtriser ses émotions.

  Aucune, répondit-elle après une dernière hésitation, ce choix leur appartient. Nous ne saurions avec honneur décider de leur avenir, c’est là le comportement des gredins et des rois iniques.

  L’éducation des princesses destinées à régner lui revenait en l’absence des habituels précepteurs, aussi Lysippé savoura l’argument à sa juste valeur.

  Tu as raison, ma fille. Alors nous allons les conseiller.

  Oui, ceci me semble sage.

   

  Pendant ce temps, Hélène tentait de redonner à Amapola la volonté d’espérer par un intérêt sincère.

  J’ai passé mon existence dans une ferme loin du monde, sans jamais rencontrer un homme à part mon pauvre père avant ces brigands.

  Soudain, sa bouche parut sèche à la princesse.

  Certains désirs particuliers sont parfois difficiles à refouler à ton âge. Comment fais-tu donc ?

  Amapola se fendit d’un sourire étonné. L’intime question ne réveillait aucun attrait, elle permettait cependant de se raccrocher à la vie.

  Quand une jeune fille devient femme, elle devine ces choses plaisantes au regard du dieu des plaisirs amoureux. J’ai appris à les maîtriser.

  Tu m’intéresses, ma douce amie.

  Amapola pressée d’abréger le débat troublant observa sa compagne de chevauchée dont l’attitude altière prouvait l’appartenance à l’aristocratie.

  Pourquoi des femmes de la noblesse, dont l’une semble votre mère, voyagent ainsi de nuit sans escorte ? Seul le pays thrace vous attend au nord du Pangée, aucune cité ne pourra vous offrir sa protection.

  Le regard brillant d’Hélène investit celui de la jeune femme.

  Nous ne rejoignons aucune cité.

  Pardonnez mon impertinence, se contenta de remarquer Amapola devant la réponse évasive. Je n’avais pas l’intention de vous manquer de respect.

  Il n’y a rien à pardonner, ma tendre amie. Malheureusement, je ne saurais t’en dire davantage. Nous vous laisserons demain dans un village dont nous ignorons tout. Vous devrez mentir sur les circonstances de votre libération.

  Des paroles se voulaient souvent aussi meurtrières qu’un acte, la bravoure ne donnait aucun gage de survie en ces temps difficiles. Malgré sa curiosité, Amapola reconnut le besoin de prudence de sa bienfaitrice.

  Soyez tranquille, noble inconnue, personne n’apprendra votre présence en ce lieu par ma bouche.

  Ce n’est pas ma sécurité qui importe, mais la vôtre. Des hommes mal intentionnés vous arracheraient sans hésiter ces renseignements par la douleur. Et cesse de me parler comme une servante à sa maîtresse, releva la princesse soucieuse de rendre son sourire à la jeune femme. Je me nomme Hélène.

  Hélène ? s’ébahit Amapola après un temps de réflexion. La nièce du régent ? Vous devez accomplir une tâche d’importance pour vous aventurer ainsi.

  C’est vrai, sourit la princesse avec malice. Mais oublie le protocole, considère-moi comme ton amie.

  Malgré la pénombre, Hélène surprit l’enchantement dans le regard de sa protégée, elle s’en délecta.

   

  L’aube chassa la nuit, la grande plaine remplaça bientôt les contreforts accidentés du Pangée, ce haut massif de la côte orientale de la Macédoine, dernier royaume du monde reconnu civilisé par les Grecs. Le soleil rougeoyant se levait au loin sur les eaux grises du fleuve Strymon frontalier avec le pays thrace, assez basses à la saison chaude pour permettre le passage à gué.

  La troupe s’arrêta sur l’ordre de Lysippé là où le chemin se scindait en deux. Des champs d’orge frémissaient sous une brise matinale en témoignage de la présence des hommes. La prudence incitait à l’empressement, la princesse prit ses filles à part. Zélie distribua des fruits à ses protégées heureuses d’un peu de repos.

  Voici l’instant du choix. Celles qui le désirent trouveront à l’ouest un village dans lequel elles seront à l’abri, les autres nous accompagneront. Aucun retour en arrière ne sera possible une fois le fleuve passé. Hélène, pourras-tu leur expliquer ?

  L’aînée considéra le groupe silencieux à l’écart. La plupart, y compris des plus jeunes, retrouvaient cet air hagard d’incertitude et de frayeur qu’elle leur avait connu au moment de les délivrer. Sa réponse murmurée n’en fut pas moins empreinte de gravité.

  Je saurai, mais leurs regards laissent deviner la réponse. Elles ont besoin à leur âge de s’en remettre à une tutelle, or nous les avons tirées cette nuit d’un piège mortel. Leur confiance se reportera naturellement sur nous.

  Fais au mieux, soupira Lysippé. J’aurais voulu leur accorder davantage d’attention, ce n’est malheureusement pas concevable de ce côté du fleuve.

  Hélène alla s’adresser longuement aux jeunes filles, prenant soin de répondre aux questions nombreuses, y compris aux plus déplacées. Le soleil commençait à s’élever dans le ciel dégagé quand la décision unanime fut prise, les quinze retrouvèrent la sérénité une fois encore.

  Thémis, ordonna Lysippé sitôt la petite troupe prête à se remettre en marche, va en reconnaissance. Tu trouveras un lieu propice au repos, certaines ne supporteront pas d’avancer sous la forte chaleur du zénith.

   

  Après une nouvelle étape en terrain découvert, le campement à l’ombre bienfaisante d’un boqueteau de châtaigniers offrit la possibilité à chacune de recouvrer des forces. Une douce brise chargée d’effluves distillés par le fleuve Strymon tout proche nourrissait une herbe riche.

  Les plus jeunes se rassemblèrent instinctivement autour de Lysippé. Cette femme singulière paraissait soucieuse de leur offrir l’affection maternelle dont elles manquaient depuis leur enlèvement. Les autres se rapprochèrent des princesses selon leur âge, à la recherche d’un exemple à suivre, poussées par un juvénile besoin de reconnaissance.

  Zeus, dont le grondement avait été rapporté par Aphrodite, avait raison, les mortels se révélaient souvent prévisibles. Lysippé dans sa quête devrait allier la sage prudence à l’audace. Elle se tourna vers ses filles.

  Venez avec moi, vous trois.

  Avec des faibles jeunes filles à protéger, les premières décisions devaient être prises sans attendre. Les princesses se rassemblèrent sous les regards intéressés au pied d’un grand châtaigner à quelques pas.

  Hélène, tu seras en charge de l’éducation physique. À toi de fortifier les corps.

  L’intelligence de son aînée rétablissait l’équilibre là où la musculature manquait. Elle vainquait nombre de jeunes hommes à la course, en maîtrisait plus d’un à la lutte et se montrait leur égale à porter des charges.

  Thémis, l’instruction au tir à l’arc te revient. Personne ne possède ton talent dans ce domaine, entraîne nos Amazones à la perfection. Les hommes regretteront bientôt de ne pas utiliser cette arme.

  La maîtrise de soi permettait à sa cadette d’exceller dans le maniement de l’arc, nulle n’avait jamais vaincu Thémis en précision ni dans sa rapidité à décocher.

  Danaé, ton devoir sera de former des cavalières aussi émérites que toi. La rapidité d’action deviendra la pièce maîtresse de nos engagements. Aucun ennemi à pied ou sur un char de guerre ne saura prévenir une attaque portée en plusieurs points.

  Les princesses se plaisaient à entendre leur mère dicter ses premiers ordres de reine. Loin de l’asservissement infligé aux femmes de Kastanas sans distinction de naissance, le principe d’un peuple délivré des entraves prenait forme dans leurs esprits.

  Je me réserve de les entraîner au maniement du glaive et du bouclier. Le plus robuste des cuirs ne résiste pas au bronze savamment forgé manié par une main experte. L’intelligence alliée à l’adresse de nos guerrières remplacera la vigueur dans les combats à venir.

  Lysippé jeta un rapide coup d’il à travers la frondaison, satisfaite d’avoir mis ses protégées à l’abri du soleil.

  Vous voici maintenant les princesses de la nation amazone. Ne vous y trompez pas, mes enfants, la liberté aura le goût du sang. Il faudra tuer sans remords ni pitié, mais surtout  n’en attendre aucune de nos adversaires. Nous exigerons beaucoup d’efforts en échange de notre protection. Notre peuple devra montrer le meilleur de ses capacités jusqu’à l’accomplissement de son destin. Je vous laisse reprendre quelques forces, une longue chevauchée nous attend.

  Lysippé à peine allongée s’endormit, le rêve hanté des batailles homériques que sa nature de femme lui avait refusées jusqu’alors. Une fillette se recroquevilla dans le dos de sa bienfaitrice à la recherche de protection. Elle se retourna puis l’enlaça comme seule une mère savait le faire.

   

  Aphrodite détourna le regard du petit groupe alangui sous la frondaison de châtaigniers pour s’adresser à la vierge farouche.

  Vois, chère sur, Lysippé a déjà à cur de préserver ses congénères. Cette femme ne soupçonne rien de son immense pouvoir. Nous devrons demeurer à ses côtés, elle aura besoin de nous pour vaincre Hadès.

  Certes oui, belle Aphrodite. Tu sais combien j’apprécie de courir les bois, mon arc à la main, avec pour toute parure un carquois en bandoulière. Celles-ci recevront mes conseils au détour de mes promenades.

  La déesse des jeunes filles soupira du plaisir d’ourdir une alliance au cur même de l’Olympe. Zeus paraissait avare de raisons en interdisant de secourir les hommes, ou peut-être se réservait-il ce privilège dans le dessein d’assurer son pouvoir. La coalition en faveur des femmes amusait les dieux, beaucoup refusaient de voir en elles des êtres capables de maîtriser les techniques guerrières. Artémis devina les avantages à tirer de la situation.

  Pour autant, leur mission ne sera pas aisée, poursuivit Aphrodite circonspecte, Lysippé aura besoin de temps avant de pouvoir confronter ses Amazones aux cohortes du maître des Enfers. Notre meilleur espoir est de parvenir à le distraire d’une manière ou d’une autre.

  Oui, chère sur. Ce fourbe court après ma virginité depuis longtemps. Sans doute le moment est-il venu de lui permettre de prétendre à quelques faveurs, sans lui accorder bien sûr.

  Bien sûr, indomptable Artémis. Nul sur l’Olympe ou ailleurs n’oserait exiger un tel sacrifice de ta part.

   

  Indifférente aux lointaines angoisses des déesses, Lysippé rappela ses consignes aux plus jeunes.

  De nombreuses patrouilles sillonnent les berges, le silence s’avère nécessaire. Nous allons chevaucher longtemps après le passage à gué pour garantir notre sécurité, il n’y aura aucune pause avant la nuit.

  Les Thraces querelleurs refusaient encore de s’entendre sous la bannière unique d’un chef, et les Grecs massés en grosses colonies éloignées les unes des autres ne pensaient qu’à amasser des richesses. Lysippé voulait mettre à profit le manque d’organisation des uns comme la suffisance des autres au service de son ambitieux projet.

  Traverse la première, Thémis, tu mettras la troupe sous la protection de tes flèches. Hélène, tu décèleras les dangers dans l’eau peu profonde, Danaé t’aidera à faire avancer les chariots. J’assurerai la défense de vos arrières jusqu’à ce que vous soyez en sécurité de l’autre côté.

  La troupe se mit en marche malgré l’insolente puissance du soleil haut dans un ciel blanc. Hélène jeta un il désabusé vers le berceau de son enfance, Thémis s’enchanta de courir à l’aventure, Danaé ne douta nullement du soutien d’Aphrodite à l’instant de solliciter sa monture. Lysippé contempla la colonne avec une bienveillance particulière. Bientôt les eaux basses du fleuve Strymon mouillèrent leurs pas.

   

  Hermia appréciait ces instants, quand la vigueur d’un amant se réveillait après une première étreinte. Les gardes soumis à une moindre discipline en l’absence du régent se montraient attentionnés envers sa personne.

  Nul n’a aperçu les princesses depuis plusieurs jours, lâcha-t-elle en se penchant sur le bas-ventre de Déjanire, tu devrais envoyer un coursier prévenir Pamphile.

  Elles sont certainement chez la mère nourricière de Lysippé. Ne soit pas impatiente de les voir revenir, grogna le garde entre irritation et plaisir avant de faire fléchir la tête de son amante, on peut profiter de leur absence.

  Ça m’étonnerait, deux de leurs servantes ont disparu aussi, soupira Hermia au fait du désir particulier.

  Troublé par la confidence, Déjanire se promit de faire le nécessaire, mais pas avant s’avoir obtenu satisfaction. Seule une courtisane ou un éphèbe connaissait l’art de cette caresse qu’il affectionnait parfois au point de s’en contenter.

  Hermia prit la virilité longue et fine dans sa bouche sans en attendre la demande, elle savoura un instant la présence contre son palais. Consciente de son pouvoir, la jeune femme s’appliqua à monter et à descendre sur la hampe avant de la recracher, elle titilla le gland du bout de la langue.

  Hummm ! éructa l’homme tétanisé. Tu m’ensorcelles.

  Le visage tourné afin de défier le garde du regard, la courtisane emprisonna le sexe tendu entre ses seins lourds pour le masturber lentement.

  Tu aimes ma peau ? miaula la démone, sentant Déjanire à sa merci.

  Une simple caresse dans ses cheveux lui donna la réponse. Elle s’appliqua à faire coulisser le membre de haut en bas jusqu’à ce que la sécheresse entre ses seins devienne pour son amant une source d’irritation. La douleur ajoutait parfois au plaisir, à condition de savoir la doser.

  Un bougonnement prévint Hermia, cette dernière reprit aussitôt le membre dans sa bouche. Déjanire savoura la douceur du fourreau après la gêne, il sentit venir son plaisir irrémédiablement. La courtisane ferma les lèvres sur le haut de sa virilité puis entama un rapide mouvement de va-et-vient.

  Tu veux ainsi ? réussit-il à articuler, prêt à défaillir.

  Hum hum ! acquiesça Hermia sans relâcher son emprise.

  Elle s’ingénia au contraire à hâter la délivrance d’une main en caressant les testicules de l’autre. Son amant se déversa dans la bouche avide en longs jets saccadés que la belle s’empressa d’avaler. Malgré son ardeur à déglutir la semence amère avec un bonheur non feint, un filet poisseux s’échappa de ses lèvres pour glisser le long de la verge, elle la nettoya d’un coup de langue gourmande.

   

  Le passage à gué se fit sans encombre, puis la petite troupe prit la piste du nord afin de prévenir une rencontre fâcheuse avec l’armée d’un quelconque protectorat. Au flanc droit de Lysippé dans le centre de la colonne, une toute jeune fille de treize ans au regard sombre chevauchait en silence. L’estafilade courant sur sa joue de l’il au menton ne parvenait pas à l’enlaidir.

  Comment te nommes-tu, mon enfant ? demanda Lysippé d’un ton rassurant.

  Anyssia.

  D’où viens-tu ?

  La petite se demanda pourquoi cette femme envisageait de partir vers l’inconnu. Une aura mystérieuse se dégageait de sa bienfaitrice dont la gentillesse n’enlevait rien à la sérénité ni à une phénoménale impression de puissance.

  Mes parents tenaient commerce à l’entrée d’un village non loin de Kastanas. Des bandits sont arrivés il y a cinq jours, ils ont massacré ma famille. J’ai failli être tuée car le chef craignait de ne pouvoir me vendre à cause de ma cicatrice.

  Même ainsi tu restes jolie, affirma Lysippé sans mentir. Rien ne saurait flétrir ta beauté, ma jeune amie.

  Anyssia esquissa un incertain sourire triste. Elle retint ses larmes pour la première fois depuis son enlèvement.

  Vous n’avez pas l’intention de nous vendre loin de la contrée de notre naissance ? demanda la jeune fille par acquis de conscience.

  Sois rassurée, ceci n’arrivera pas. Nous fonderons un royaume dans lequel chacune d’entre vous trouvera sa place. Je vous protègerai comme mes propres enfants. Comme elles, vous apprendrez à affronter les dangers de l’existence. Sais-tu manier un arc ?

  Oui, répondit Anyssia intéressée au point d’en oublier ses malheurs. Je m’entraînais chaque jour derrière la maison avec ma mère.

  Bien, ma jeune amie, tu deviendras une belle et farouche Amazone que nos adversaires craindront.

  La tête droite, Anyssia laissa s’évaporer son chagrin dans la chaleur de l’après-midi. Le soleil accabla bientôt les plus fragiles. Lysippé pressée de s’éloigner du fleuve au plus vite n’ordonna aucune pause.

   

  Heureuse de rompre avec la monotonie de l’expédition, Thémis se concentra sur la conversation entre Hélène et Amapola. Sa sur trouvait sans aucun doute la jeune femme à son goût, celle-ci se laissait apprivoiser.

  Une nation de femmes ? Cela semble impossible. Je ne vois pas comment se faire ensemencer sans subir l’homme dans sa chair.

  Aphrodite le souhaite, elle nous donnera le moyen de concrétiser son dessein. Pour ma part, jamais un homme ne me touchera, affirma Hélène.

  Tu souhaites donc devenir prêtresse d’Artémis, concéda Amapola avec respect, tu pourras conserver ta virginité.

  Thémis s’esclaffa en silence, intéressée d’entendre par quelle astuce sa sur allait se dépêtrer de la situation. Sans attirance pour ses congénères, elle s’amusait néanmoins de connaître la source d’inspiration qui donnait à une femme le pouvoir d’en séduire une autre. Hélène haussa les sourcils.

  Prêtresse ! Certes non, chère Amapola. Je désire aimer et être aimée en retour. Me trouves-tu repoussante au point de perdre ma jeunesse dans un temple ?

  Oh non ! Mais tu refuses de te donner à un homme, alors je ne comprends pas.

  Selon toi, deux femmes ne pourraient-elles éprouver des sentiments l’une envers l’autre, jusqu’au désir de partager ces choses dont tu me parlais cette nuit ?

  Amapola rougit sans pour autant songer à fuir.

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